De quelle modernité parlez-vous ? (2)
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Du Cubisme d’Albert Gleizes et Jean Metzinger
Quand le cubisme triomphe, Pablo Picasso le renie (enfin, pas tout à fait) et l’abandonne au jeune Juan Gris et à cette « école » qu’il ne reconnaît pas et qu’il méprise. Mais Serge Fauchereau nous avertit : « Plus d’un siècle après l’événement, il est toujours aussi difficile de circonscrire le cubisme avec précision, faute d’un manifeste ou de déclarations claires de quelque chef de file reconnu. » La réédition de l’ouvrage de Gleizes et de Metzinger, deux des représentants de cette école, qui a paru en 1912 permet de se souvenir que ces artistes ont choisi d’autres chemins que ceux empruntés par les inventeurs du cubisme. Ils laissent d’ailleurs de côté le cubisme analytique et ne vont pas trop dans le sens des collages et papiers collés. Ils imaginent plutôt une autre forme de figuration. Albert Gleizes joue avec des constructions géométriques entraînées par un mouvement complexe qui donne à ses toiles une curieuse dynamique, mêlant la triangulation et l’arabesque. Quant à Metzinger, il « humanise » le cubisme et le rétablit dans la fiction de la troisième dimension. Dans leur texte, ils réinscrivent le cubisme dans une histoire qui commencerait avec Courbet, puis passerait par Manet et les impressionnistes et enfin Cézanne. En somme, ils n’avaient pas en tête une révolution, mais une manière nouvelle de penser et de vivre le tableau sans tenter le diable d’une pensée radicale. En plus, ils préservent le goût français. Et leur cubisme englobe Derain, Picabia, Léger et même Duchamp ! L’exposition révèle malgré tout ce que l’essai ne dit pas : un penchant poussé pour une expérimentation qui ne se prend pas au sérieux, c’est-à-dire non dogmatique, mais sérieuse dans ses intentions plastiques. Cette exposition mérite le détour car elle nous conduit à découvrir ou à revoir d’un autre œil deux artistes injustement rangés dans une catégorie qui serait celle du style d’époque. Je ne peux m’empêcher de songer au long article que Paul Claudel a écrit dans le Figaro littéraire en 1955, où il se demande si le cubisme a un quelconque avenir ! Ce texte, pour le moins décalé, est des plus surprenants. Il n’en reste pas moins que le cubisme est toujours à revisiter. Il suffit de consulter la somme de Fauchereau pour comprendre que, pour le bien comme pour le mal, le cubisme ne se limite pas au couple Braque-Picasso.
Le Cubisme, de Serge Fauchereau. Flammarion, 254 pages, 45 euros. « Gleizes, Metzinger, du cubisme et après », musée de la Poste, jusqu’au 22 septembre 2012. Catalogue : Beaux-Arts de Paris les éditions/Ministère de la Culture, 164 pages, 20 euros. Du « cubisme », d’Albert Gleizes et Jean Metzinger. Hermann, 234 pages, 20 euros.Gérard Georges Lemaire