Nous connaissons et apprécions le goût de Michel Fau pour un certain décalage et une subversion malicieuse. Ses dernières mises en scène revisitant "Nono" (Guitry) ou "Maison de Poupée" (Ibsen) en sont le séduisant reflet. Son improbable et désopilant Récital Emphatique, qu'il reprit au printemps, également. Pour sa rentrée théâtrale, il est allé dénicher une comédie anglaise grinçante à souhait se riant de nos névroses, aux personnages complétement secoués, écrite dans les années 60 par Joe Orton. Si l'oeuvre souffre d'un problème de rythme inhérent à sa date de création, elle permet à l'ensemble des comédiens de s'en donner à coeur joie dans un délire surréaliste délicieusement osé et dérangeant. Cela s'intitule "Que faire de Mister Sloane ?".
Dans un pavillon de banlieue londonienne situé en plein milieu d'une décharge, Kath, vieille fille au look de lolita, vit aux côtés son père malade. Logeuse occasionnelle, elle accueille Mister Sloane, jeune homme séduisant qui reveillera en elle pulsions maternelles et sexuelles... Un mélange de névroses détonnant dont l'énigmatique frère de Kath, à sa manière, n'est visiblement pas dénué, cherchant lui aussi à dominer et posséder le garçon qui saura pour sa part user et abuser de ses charmes, tandis que le patriarche croira reconnaître en Sloane l'assassin de son ancien patron. Voilà voilà...
En tête de distribution, formidablement dirigée, dotée d'une énergie remarquable, Charlotte de Turckheim ose tous les excès et nous fait rire aux larmes dans sa composition de fille totalement allumée, à la fois paumée, dépressive, obsédée, perverse, et méchante. Après des années de one woman show, elle met avec brio son efficacité comique au service d'une pièce de théâtre. Faisant ici ses premiers pas sur les planches, Gaspard Ulliel nous a surpris par son aisance, son charisme théâtral et sa maîtrise technique d'un jeu tout sauf réaliste. Il est un impeccable Mister Sloane. Toujours aussi étonnant, Michel Fau emmène le personnage du frère sur des chemins que lui seul pensa lui faire prendre. Superbe ! Jean-Claude Jay, enfin, n'est pas en reste, insufflant au père une hargne savoureuse.
Mais pour que cette entreprise soit une véritable réussite, il eut fallu resserrer un script qui manque de nervosité. Des scènes trop longues ou des dialogues parfois trop dilués risquent régulièrement de faire décrocher le public, malgré l'excellence de l'interprétation et la fantaisie d'une mise en scène à l'amusant look 60's. Quatre vingt dix minutes auraient suffi quand deux heures de spectacle nous sont offertes.
Nonobstant ces réserves, nous vous conseillerons vivement de vous rendre à la Comédie des Champs Elysées, car le moment se révèle assez unique.
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Photos : LOT
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