Romance
Vieux voyageur sur la houle du monde
J’ai vu sous moi surgir plus d’un écueil ;
Des rêves d’or de ma jeunesse blonde
Plus d’une fois j’ai dû porter le deuil ;
De fils d’argent ma tempe se décore ;
Dans mon gosier je sens trembler ma voix,
Et cependant mon coeur est jeune encore
Comme autrefois.
La fleur fanée avec la feuille morte
M’ont prodigué leurs funèbres parfums ;
Souvent le crêpe a flotté sur ma porte,
Car j’ai pleuré bien des amours défunts.
Pauvres oiseaux de ma lointaine aurore,
En souvenir lorsque je vous revois,
Ah ! je le sens, je puis aimer encore
Comme autrefois.
Dieu dans mon sein mit une lyre sainte ;
Des chants nombreux en mon coeur sont éclos ;
Mais souvent l’hymne a fait place à la plainte ;
Ma voix souvent s’est brisée en sanglots.
Hélas ! en moi chaque fibre sonore
A sous l’archet saigné plus d’une fois ;
Et malgré tout je veux chanter encore
Comme autrefois.
Louis FRÉCHETTE (1839-1908), poète et conteur québécois.
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