Les peuples européens ne souffrent pas à cause de l’Europe. Au contraire, ils
souffrent à cause du trop peu d’Europe. Ce traité, comme les précédents, est l’objet d’oppositions infondées basées sur le repli sur soi et un protectionnisme qu’il serait de toute façon bien
irréaliste de rétablir dans un monde globalisé. Seconde partie.
Victime expiatoire
Dans l’émission "ça vous regarde" diffusée sur LCP le
1er octobre 2012, l’ancienne Présidente du Parlement européen Nicole Fontaine faisait remarquer à son interlocuteur, Philippe Poutou, ancien candidat de NPA à l’élection présidentielle, que l’Europe était prise injustement comme
un bouc émissaire en lui reprochant tous les ennuis économiques du moment.
L’exemple était flagrant puisqu’il s’agissait de la fermeture définitive des hauts-fourneaux à Florange
(confirmée formellement le lendemain) par le groupe Arcelor qui a été racheté par Mittal. Or, ceux qui critiquent l’Europe lui font porter des charges qui ne correspondent justement pas à ses
attributions : Mittal a racheté Arcelor à l’occasion d’un accord avec trois gouvernements nationaux (qui, eux, doivent en assumer les conséquences). Jamais l’Union Européenne n’a été
impliquée dans cette situation. On aurait même peut-être dû l’impliquer.
Le concept de souveraineté partagée
Ceux qui ont peur d’une perte de la souveraineté nationale n’ont surtout pas compris qu’il n’y a plus de
souveraineté si c’est celle du petit face aux gros. Or, dans le secteur industriel, avec les concentrations monstrueuses, il n’y a plus place aux petits. L’Union Européenne existe justement pour
mutualiser les atouts de ses membres et les démultiplier. Il ne s’agit pas de perte de souveraineté, il s’agit de souveraineté partagée, mutualisée pour accroître la force de frappe au sein d’un
monde sans complaisance dans la compétition économique.
À cet égard, l’euro a été une grande réussite. Imaginez un instant qu’il n’y ait pas eu l’euro lors de la
crise de septembre 2008, puis lors des crises des dettes souveraines depuis mai 2010 ! Le franc
aurait chuté inexorablement, le commerce extérieur ne se serait pas pour autant relevé car les taux auraient monté et la confiance des marchés se serait effondrée. Rappelons que les marchés,
c’est nous ! C’est celui qui a épargné un peu sur son assurance-vie par exemple, en prévision de coups durs (une chaudière qui lâche, une voiture qui tombe en panne, ou encore, un
licenciement). La France est l’un des pays qui épargnent le plus, d’ailleurs, au contraire des États-Unis. Aujourd’hui, l’euro tient grâce au dynamisme économique de l’Allemagne. Et la France, en s’acheminant dans la voie du désendettement, rassure autant que l’Allemagne pour l’instant (les taux d’intérêts sont même
négatifs !).
Du reste, le Conseil
Constitutionnel a explicitement notifié le 9 août 2012 qu’il n’y aurait pas de perte de souveraineté en adoptant le traité budgétaire européen. Et heureusement, car le budget d’un État reste
de sa prérogative exclusive.
La liberté décisionnelle de chaque État est en effet mise en évidence par le traité : « nécessité de respecter, dans la mise en œuvre du présent traité, le rôle spécifique des partenaires sociaux, tel qu’il est reconnu dans le droit ou les
systèmes nationaux de chacune des parties contractantes ». De plus, l’article 3 du traité précise clairement : « [Le] mécanisme de
correction respecte pleinement les prérogatives des parlements nationaux. ».
Solidarité entre les peuples
Le principe du mécanisme prévu par le TSCG, c’est presque du communisme ! C’est de rendre solidaire
l’ensemble des signataires si l’un deux a de gros soucis pour rembourser sa dette. C’est une mesure visant essentiellement à enrayer la spéculation contre les États, comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal et aussi l’Italie et l’Espagne en ont été victimes. Une solidarité entre les
peuples, voilà ce que propose avant tout le TSCG.
C’est normal que chaque signataire s’assure que ses voisins répondent à un minimum de conditions, et prennent
leurs responsabilités puisque son avenir dépend aussi d’eux. Après tout, qui peut parler d’ingérence dans la vie personnelle lorsqu’on signe un contrat avec une banque ? Pourtant, on doit en
remplir, des conditions, et en donner, des informations très personnelles, pour rassurer la banque.
Mais aucun État n’oblige aucun autre. Il n’y a aucune perte de souveraineté car aucun organisme n’empêche le
libre arbitre de chaque État de s’exercer. Après tout, si les taux flambent, et qu’il n’a pas été sérieux d’un point de vue budgétaire, l’État isolé devra bien se débrouiller tout seul. Ce n’est
pas un hasard si la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie font partie des premiers pays à ratifier le traité.
Alors, la question qui vient est :
Le TSCG est-il antidémocratique ?
Et ma réponse est non doublement. Non en Europe et non dans chaque État.
Dans l’Union Européenne, le traité va donner les cartes uniquement au Conseil européen, donc à l’ensemble des
gouvernements nationaux qui ont été choisis démocratiquement par leur peuple, au détriment de la Commission européenne qui est un organe composé uniquement de membres nommés (des commissaires)
qui n’ont aucune légitimité populaire : « Les chefs d’État ou de gouvernement des parties contractantes dont la monnaie est l’euro se réunissent
de manière informelle lors de sommets de la zone euro auxquels participe également le Président de la Commission européenne. ».
De plus, le fonctionnement correspond à une démocratie parlementaire classique : « Le président du sommet de la zone euro présente un rapport au Parlement européen après chaque sommet de la zone euro. ».
Le TSCG va aussi renforcer la démocratie à l’intérieur de chaque État puisque les parlements nationaux vont
être confortés dans leur rôle de contrôle des gouvernements durant la définition et l’exécution des budgets nationaux : « Le Parlement européen et les parlements nationaux des parties contractantes définissent ensemble l’organisation et la promotion d’une conférence réunissant les
représentants des commissions concernées (…) afin de débattre des politiques budgétaires et d’autres questions régies par le présent traité. ».
De plus, il n’y a pas besoin d’un traité européen pour s’imposer un peu de discipline budgétaire et la
loi de finances 2013 n’a pas été influencée par ce traité, ni les futures lois de finances qui
garderaient cette exigence même si le traité n’était pas adopté. Il est quand même facile de comprendre que la réduction du déficit public est une priorité nationale car elle correspond à
l’intérêt général. On ne peut pas sans accroître la dette (lire ce précieux témoignage).
Sur les critères de convergence budgétaire, le TSCG ne bouleverse d'ailleurs pas la règle du pacte de stabilité qui date de 1997.
Un fédéralisme antieuropéen ?
C’est d’ailleurs assez étrange d’entendre le très actif président du groupe EELV au Sénat, Jean-Vincent Placé, s’emmêler sur France Inter le 24 septembre 2012 en affirmant qu’il était un fédéraliste
européen (d’accord pour que la France ne soit qu’une province européenne) et refuser le TSCG. Que ce traité ne permettrait pas la définition d’une politique budgétaire européenne (alors que c’est
mieux que maintenant !) et qu’il voterait même le projet de loi de finances pour 2013. Très actif président mais un peu isolé dans son groupe sénatorial car Jean-Vincent Placé va être
quasiment le seul de son groupe à voter non au TSCG.
Au-delà de la mauvaise foi et des incohérences écologistes,
il y a un réel courant de désinformation sur ce que comporte ce traité budgétaire européen. Par exemple, il y a cet économiste très partial, Jacques Généreux, qui était notamment l’invité de
l’émission "C dans l’air" sur France 5 le 25 septembre 2012.
Généreuse duperie dans les argumentations
Jacques Généreux prétend ainsi que le TSCG bloquerait les salaires dans le privé. Il arrive à cette
affirmation par un raisonnement alambiqué : la réduction du déficit imposerait le blocage des salaires des fonctionnaires, et donc, des salaires du privé. En fait, il n’aurait pas été
impossible d’augmenter le salaire des fonctionnaires, si on avait choisi de ne pas en recruter massivement des nouveaux (plus de 35 000 par rapport à 2011 !). Cela n’a rien à voir avec
le traité et c’est le choix (très contestable mais assumé) du gouvernement.
Il critique également le fait que le TSCG imposerait, au-delà de la réduction du déficit public, de
rembourser 80 milliards d’euros par an pour rembourser une partie de la dette si celle-ci est supérieure à 60% du PIB : « l’obligation, pour les
parties contractantes dont la dette publique dépasse la valeur de référence de 60%, de la réduire à un rythme moyen d’un vingtième par an, à tire de référence ». Pourtant, comment
blâmer le fait que la France honore ses créanciers ? Et cela indépendamment de tout traité ?
Jacques Généreux prétend aussi que de l’argent pour réduire les déficits, il y en aurait facilement à
prendre. Il cite alors les 150 milliards d’euros de niches fiscales et qu’on pourrait en utiliser 100 milliards pour résorber le déficit ! Propos évidemment démagogiques et simplistes et en
plus, incohérents dans sa logique.
D’une part, le traité n’y est pour rien dans cette affaire, et au contraire, l’économiste conforte le
principe initial qu’il prétend contester (l’obligation d’avoir un budget équilibré). D’autre part, il oublie de rappeler que sont comprises dans les niches fiscales les aides pour les emplois
d’aide à la personne et les exonérations pour les dons de charité. La suppression de certaines niches fiscales pourrait donc renforcer le chômage, encourager le travail au noir et réduire
dramatiquement la solidarité individuelle pour des œuvres de bienfaisance. Parler globalement des niches fiscales n’a donc aucun sens.
Ressasser les mêmes idées reçues
C’est cela, ce souverain poncif, reporter sur la construction européenne tous les drames sociaux et économiques que connaît actuellement le pays, sans comprendre que
justement, les timides traités qui jalonnent cette grave crise essaient de construire, avec hésitation, cette fortification contre les puissances du capitalisme international.
"Eux", les spéculateurs, ils n’ont pas attendu l’Europe pour s’internationaliser ! En revanche, leurs
victimes auraient tout intérêt à s’unir pour faire face. Ce traité budgétaire n’est pas la panacée, bien sûr, mais il est mieux que rien, mieux que la situation d’aujourd’hui où un État pourrait
être mis en faillite sur l’action de seulement quelques individus cyniques bien placés au monde.
L’amorce de l’espoir…
Le TSCG préfigure l’amorce de l’Europe de demain, une Europe plus démocratique avec un gouvernement sous
contrôle des peuples pour faire une politique économique et budgétaire commune. Cette convergence des politiques nationales a un but clairement exprimé dans l’article 1 du traité :
« améliorer la gouvernance de la zone euro, en soutenant ainsi la réalisation des objectifs de l’Union Européenne en matière de croissance durable,
d’emploi, de compétitivité et de cohésion sociale ».
On est encore loin du compte, certes, mais c’est justement avec ces crises que les avancées peuvent se faire
franchement. Et il n’est pas interdit de rêver. Tous les projets forts ont été bâtis sur des rêves !
Être contre le TSCG, c’est donc forcément être contre des avancées dans la construction européenne. C’est
respectable, mais s’affirmer européen et contrer tout progrès dans l’intégration européenne, c’est n’avoir rien compris au fil. Rappelez-vous, il n’y a jamais eu de plan B lorsqu’un rendez-vous
de l’histoire est manqué…
Aussi sur le blog.
Sylvain
Rakotoarison (4 octobre 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Sondage favorable au
TSCG.
Le texte intégral
du TSCG (à télécharger).
Le texte intégral du Traité de Lisbonne (à télécharger).
EELV est-il dans la
majorité ?
Hollande la farce.
Ayraultisation de l’austérité.
La construction européenne.
La règle
d’or.
Le budget 2012.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/tscg-le-souverain-poncif-2-2-123728