A l’occasion de la sortie du tome 5 de Jérôme Moucherot – le Mâle dominant, et de son exposition à l’espace Dali, j’ai rencontré ce “Docteur es élucubration”, pour parler de Moucherot, de l’art, de la mort…
Un amour de Bd Quelle est la genèse du projet ? D’où vient l’idée du personnage ?
F. B. Une idée, on sait pas d’où ça sort. Pour capter les idées, il faut adopter la stratégie du chasseur, se mettre dans une posture d’esprit particulière. Pour y arriver, j’essaye d’être “poreux”…
Quand j’ai commencé à travailler pour “A suivre”, le deal c’était de sortir une histoire par mois. 3 à 5 pages, avec des ambiances et personnages différents à chaque fois. Cette cadence a développé chez moi une certaine vigilance, une volubilité pour trouver les idées.
L’origine ? j’étais tombé sur des images de Beyrouth, des photos d’immeubles envahis par la végétation. Ce monde m’intéressait. Il m’a fallu inventer qui habitait ce décor ?
Au départ, je ne pensais pas faire une série avec Jérome Moucherot, mais le personnage était entêtant. L’avantage de revenir dans son univers, c’est de découvrir ses possibilités, sa globalité.
Dans cet univers, je peux intégrer tous les délires que je souhaite.
Un amour de Bd Moucherot a été édité de 1994 à 2001 chez Casterman. Comment s’est passé le passage au Lombard ?
F. B. A l’époque de “A suivre”, j’avais une totale liberté artistique, qui me convenait bien. Puis, à un moment, je n’ai plus eu le même contact chez Casterman. Comme je m’entendais bien avec le Lombard, ça s’est fait naturellement, en discutant avec eux sur la possibilité de rééditer la série. D’ailleurs, cette logique continue avec d’autres “one shoot” dans peu de temps.
Un amour de Bd Tu as une énorme production, mais tu as été peu de fois scénariste et dessinateur en même temps. Comment vis tu ce double statut ?
F. B. C’est plus facile avec les histoires fantaisistes, car tu es le seul détenteur de la vérité. Par contre, dans un monde réaliste, la confrontation avec un scénariste est utile.
L’humour, il vaut mieux le pratiquer seul. Je peux mettre à l’épreuve mes envolées poétiques ou humoristiques avec quelques rares personnes. Pour cela, il faut avoir le même humour… Ce n’est pas évident.
Un amour de Bd Tu as une image double. D’un coté farfelu (Rock Mastard, les albums avec Charyn, La mort et Lao Tseu dans a suivre) de l’autre plus récemment, une image “sage” (Bouncer, le Janitor).
Qui es-tu vraiment ?
F. B. (rire) Tout ce que je fais, j’en suis partie prenante. L’univers poétique de face de lune, l’univers torturé de “Bouche du Diable”. Je n’ai pas une idée unique de moi-même et je n’ai pas de limite. Avec “La femme du magicien”, j’ai appris à croire à ce que je dessine. J’aime maintenir cette diversité.
Dans les années 80, je suis parti avec un état d’esprit frondeur. J’allais faire une nouvelle bd ! Je m’étais dis que je n’allais pas dessiner toute ma vie le même personnage comme Morris avec Lucky luke.
Un amour de Bd Sur Moucherot, quelles sont les références ? J’y vois un humour anglais non-sens façon Monty Python…
F. B. On est pétri de multiples influences. Monty Python en fait parti, comme Mad, Gotlib, Franquin, ou Winsor Mccay. Le but, c’est de trouver les gens qui permettent d’ouvrir ton esprit. Ceux-là m’ont ouvert l’esprit sur la fantaisie. C’est sans limite.
Un amour de Bd Le récit est centré sur Jérome Moucherot, mais le contexte, le décor a autant d’importance ?
F. B. Un héros, c’est une conscience qui se balade. Jérome Moucherot, c’est la conscience de son univers, sa consistance. Sa particularité, c’est qu’il accepte son univers. il est au premier degré. Par lui, le lecteur peut s’offrir une fantaisie identique. C’est un tremplin.
Par exemple, les lecteurs me disaient au début que je dessinais beaucoup de personnages contrefaits. Récemment, on me dit plutôt avoir reconnu mes personnages dans la rue…
Un amour de Bd Le dernier album est organisé en sketches. N’as-tu pas envie d’un scénario plus structuré, de développer une histoire ?
F. B. J’ai commencé a travailler pour un nouveau Moucherot, sur la recherche intérieure… une histoire complète, globale.
Le tome 5, c’est une explication du personnage et de son monde pour les nouveaux lecteurs. Je voulais faire un album court, mais je n’arrivais plus a m’arrêter. de 48 pages, c’est passé à 88… et encore, j’ai mis de côté certains gags…
Un amour de Bd Quelle est la place des femmes ? Dans Moucherot, c’est une vision très traditionaliste. N’es-tu pas accusé de machisme ?
F. B. Ces valeurs sont “rigolotes”. Le mâle dominant, c’est une notion où personne ne se reconnait. Aujourd’hui, l’homme se féminise, est dépendant de ses parents. C’est un pleurnichard…
C’est drôle de redorer ce blason. C’est un acte de pure philanthropie, pour valoriser les hommes qui se reconnaissent en “mâle dominant” (Rire).
Un amour de Bd L’art est présent dans Jérome Moucherot (reprise de peintures, apparition de Léonard de Vinci, exposition à l’espace Dali)…Est-ce important dans ta vie ?
F. B. Pour moi, la notion artistique fait partie de la bd. Une case doit être composée correctement. Dans la case, tous les éléments fusionnent ensemble. J’ai un point de vue artistique sur mon métier. Je m’intéresse à cette notion.
Il y a différentes notions dans l’art. L’art médiatique, qui est dicté par les galeries. L’art qui se veut original, différent à tout prix. Et puis, il reste la question : à quoi sert l’art ? C’est ce qui m’intéresse. Je pense que c’est un moyen de transformer son regard. On peut difficilement en parler. C’est un travail intime qui ne peut pas se discuter.
Un amour de Bd As-tu des artistes qui te font vibrer particulièrement ?
F. B. J’ai le même sentiment devant un Poliakov, un Vermeer, ou un Rembrandt.
Leur art nous dépasse. Un homme des cavernes pourrait être touché par ceux-là.
J’apprécie dans l’art la capacité d’ennoblissement de l’être humain. Avec l’art, on échappe à la barbarie.
Je l’utilise à la fois dans la bd réaliste, et dans la bd humoristique.
En complément de cette Interview, que m’a accordé François Boucq, voici dans la galerie ci-dessous quelques photos de l’exposition qui lui est consacrée à l’espace Dali, à Paris. C’est un étonnant délire Sur-réaliste de Boucq, dans l’Univers de Jérome Moucherot.
Un grand merci tout particulier à Diane et Sophie, les attachées de Presse du Lombard.