J'appelle poésie cet envers du temps,
ces ténèbres aux yeux grands ouverts,
ce domaine passionnel où je me perds,
ce soleil nocturne,
ce chant maudit aussi bien qui se meurt dans ma gorge où sonnent à la volée
les cloches de provocation...,
j'appelle poésie cette dénégation du jour,
où les mots disent aussi bien le contraire de ce qu'ils disent que la proclamation de l'interdit,
l'aventure du sens ou du non-sens, ô
paroles d'égarement qui êtes l'autre jour,
la lumière noire des siècles, les yeux aveuglés d'en avoir tant vu, les oreilles percées à force d'entendre,
les bras brisés d'avoir étreint de fureur ou d'amour le fuyant univers des songes,
les fantômes du hasard dans leurs linceuls déchirés, l'imaginaire beauté pareille à l'eau pure des sources perdues...
J'appelle poésie la peur qui prend ton corps tout entier à l'aube frémissante du jouir... Par exemple.
l'amour l'amour l'amour l'amour l'amour
Louis Aragon