La Musique du père

Publié le 04 octobre 2012 par Clairef

   Ah ! Les amis,

 je viens de terminer un fabuleux roman, que je vous conseille fortement... Il s'appelle "la Musique du père" et est écrit par l'auteur et poète irlandais prolifique Dermot Bolger, que je découvre avec les frémissements renouvelés et le ravissement ébahi des mots pensés, écrits, puis traduits patiemment pour arriver jusqu'à ma langue, comme les galets roulés par la vague et déposés polis sur la grève.

 

L'histoire ? Une quête d'identité, d'amour, de vérité et de reconnaissance, portée par Tracey, jeune fille anglaise, paumée, esseulée, pétrie de désenchantements et couturée de secrets trop lourds pour ses jeunes épaules. Terriblement attachante, intelligente et intuitive, Tracey est cette nageuse en apnée, yeux ouverts, qui touche le fond et se demande ce qui pourrait lui donner envie de remonter boire sa goulée d'air.

Elle traîne la honte et la folie dépressive de sa mère, l'espoir déçu de son intransigeante grand-mère, le silence étouffant des siens et l'abandon de son père, qui se heurtent à la violence et l'appétit frénétique de ses vingt ans. Son quotidien n'est qu'errance, questionnements, auto-protection et destruction. Elle vit au rythme de la nuit, s'étourdit de sorties pour éviter ses démons intérieurs qui surgissent en cauchemars et en flashbacks. 

Sa mère vient de mourir lorsqu'elle rencontre Luke, un homme ombrageux et séducteur; sa vie prend alors un tour incontrôlable et vertigineux qui la dépasse et l'attire.

Tracey entretient avec son amant irlandais qui a le double de son âge une relation adultère, sensuelle et sauvage qui l'emmène vers des contrées aussi brumeuses que les falaises de Dublin et aussi dangereuses que les guerres de clans. Loin d'exorciser son passé douloureux, cette relation passionnelle, dont elle accepte d'être le jouet autant sexuel que manipulé, fait remonter à la surface ses terreurs enfantines.

Dans un monde où règne le crime organisé, la corruption, le mensonge et la vengeance, Tracey et Luke se cherchent et se poursuivent des ruelles clignotantes de Londres aux villages perdus du Donegal, et leurs périples sont accompagnés des chants sean-nos plein de douceur et de fantaisie et des violons lancinants perçant les pubs.

Toute une tribu irlandaise se profile derrière Luke, l'exilé anglais qui a réussi loin des siens, et la galerie de ces personnages dessine une ribambelle de regards, de tignasses et de caractères trempés, pétrie de fierté et d'honneur familial.  

Battant la lande, bravant l'inconnu et le chaos meurtrier qui enfle autour d'elle, Tracey s'aiguillonne d'un fol espoir qui lui redonne chair et raison: retrouver la trace de son père, ce vieux musicien vagabond errant qui a jadis séduit sa toute jeune mère avant de l'abandonner pour retourner à ses chemins de terre et à sa musique gaélique familière. Pourtant haï, jamais compris, pensé mort depuis longtemps, cet homme sans visage, dont elle n'a pas de souvenir hors les malveillances de ses grands-parents et la tristesse d'amoureuse déçue de sa mère, Tracey va pour se retrouver, aller se perdre dans ses traces. Le salut de l'enfant lui viendra-t-il de la musique de son père ?

Dermot Bolger a cette écriture sêche et puissante de la tragédie humaine; il nous emmène d'une poigne ferme, dans une descente aux enfers autant que dans le lyrisme de son pays, au travers de ce récit envoûtant, qui nous tient en haleine, par le fil tendu de son archet. Si j'ai été séduite par cet écrivain que je n'avais jamais lu auparavant, je suis d'autant plus heureuse d'avoir appris que cet homme était également fort apprécié pour sa poésie, même si ce roman me touche essentiellement par la sensibilité du portrait de l'héroïne. 

Avant de vous quitter, et comme Dermot Holger le précise dans sa préface dédicacée, je ne résiste pas moi non plus du coup à la tentation de vous faire écouter un fameux chant sean-nos ("vieux style" en gaélique, soit, chant traditionnel irlandais). Soit partagés a capella soit chantés accompagnés de danse et de musique (violons, accordéons, flûte), ils sont très exceptionnellement enregistrés, mais plutôt transmis par l'oralité, et de maître à élève...

Le mieux étant certainement de les entendre en live, dans le pub poussiéreux et reculé d'une toute petite bourgade endormie au creux d'un vallon de tourbe...

un masculin: http://www.youtube.com/watch?v=oGelrimeD7c

un féminin: http://www.youtube.com/watch?v=JE6QDQdwo9E



Au plaisir de vous lire, bien sûr...

Claire

http://www.thebookedition.com/advanced_search_result.php?keywords=claire+fessart