Depuis un bon bout de temps, pour moi, la pluie n'est plus seulement un truc qui fait puer les chiens ou qui rime avec « assassinat de brushing ». C'est aussi la vie.
Je me rappelle lorsque j'étais un peu plus jeune et qu'il pleuvait. Je me ruais dehors et je dansais sous la pluie, je profitais de chaque goutte qui tombait sur mon visage, et je m'en carrais d'avoir l'air complètement con. Maintenant, je n'ai plus trop ce réflexe excentrique (je suis vieille et j'ai la flemme?), et je me contente de sourire en remarquant les gouttes de pluie qui viennent s'échouer sur ma fenêtre.
Pourquoi j'aime tant la pluie ? Par sadisme, par pur plaisir de voir la nature dans son état le plus triste ? Ou est-ce parce que je trouve ça beau, et noble ? Peut-être les deux. Peut-être que c'est parce que c'est triste, que je trouve ça magnifique et que je n'ai qu'une envie : m'en abreuver. Je suis une éponge, en fait. J'aime aspirer ce que les gens rejettent, les choses grises, et tristes.
(ça prend doucement la tournure d'une dissersation de philo...)
Lorsque je revenais du lycée et qu'il se mettait à pleuvoir, j'avais beau avoir mon parapluie dans mon sac, je ne l'utilisais pas. Je le sortais, par réflexe, puis je me disais « et puis merde ». Je déambulais , trempée et le sourire aux lèvres. Paradoxalement, j'étais (et je suis peut-être encore) une adolescente très triste et extrêmement fermée. On aurait aisément pu croire le contraire en me croisant dans la rue, dans ces instants-là. Je voyais bien que les gens me regardaient comme une imbécile, moi la jeunotte qui a un parapluie à la main, mais qui préfère prendre sa douche dehors, et avec le sourire en plus.
Je sais que je devais avoir l'air bizarre. Après tout, quand il pleut, la plupart des êtres humains ont ces quelques réflexes :
-Râler que putain c'est pas possible, la météo ne nous a même pas prévenu, c'est quand même des foutus incapables, et dire qu'ils sont payés ces fainéants !
-Râler que putain la météo avait raison et que ça fait chier la pluie.
-S'abriter en se recoiffant avidement (ça, c'est surtout pour les femmes)
-Courir comme si la survie de l'humanité en dépendait (ou comme si le premier arrivé allait avoir la chance de savoir enfin qui est ce putain de A dans Pretty Little Liars)(imaginez un peu comme je courrais vite, si c'était le cas)
-Dégainer le parapluie
-Rentrer chez soi en disant « oh mais quel temps de merde quand même »
Non, moi, je rentrais trempée, j'avais sûrement attrapé un rhume, ma mère m'engueulait, mais j'étais contente. C'était mon moment de répit, mon moment d'intimité avec cette si belle nature qui n'en a rien à foutre de nous, et de nos prévisions météo. Cette si belle nature qui décide quand il pleut, même si ça nous plaît fichtrement pas, et qui peut être fière d'avoir encore dans sa manche de jolies choses telles que la pluie que les humains ne peuvent contrôler autrement qu'en la fuyant. Cette si belle nature qu'on devrait remercier de nous offrir cela.
Je dois passer pour une bobo complètement shootée, mais à l'époque lycéenne, j'avais affreusement besoin de petites consolations telles que celle-ci, de jolies croyances qui me faisait voir le bon là où tout le monde ne voyait que du mauvais. J'en avais besoin pour ne pas me taper la tête contre les murs, pour ne pas m'embourber des histoires de merde et les sentiments négatifs qui en découlaient, j'en avais besoin pour oublier ma vie de robot sans personnalité.
J'ai grandi, maintenant lorsque ça va mal, je préfère râler comme tout le monde et me plaindre. Mais j'ai gardé cette petite joie intérieure lorsque je me réveille et que je vois, au dessus de moi, à travers la fenêtre, un ciel tout gris, et que j'entends ce bruit de pluie si rassurant, si agréable. Je garde cette petite envie de dévaler les trois étages de mon immeuble, et d'aller me poster sous l'averse, pour profiter de cette douce sensation. Cette sensation d'être enfin en communion avec quelque chose de beau, même faiblement, même pas longtemps.
Je suis consciente que je dois avoir l'air d'une imbécile qui philosophe sur un petit tas de rien du tout. Ce que je cherche à dire, c'est que finalement, même dans le mauvais, on peut trouver de belles choses. Il faut creuser, car il y aura toujours de quoi sourire, sur cette Terre. Même rien qu'un tout petit peu. Même lorsqu'on a l'impression d'être au plus bas. Même si ce sourire, vous n'arrivez pas à le faire ressortir. Ressentez-le, c'est déjà ça.
Hier, il a plu. Ça faisait longtemps. Longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi à ma place. Est-ce que je suis bizarre, dites ?