Les 5 apôtres de la discipline budgétaire

Publié le 04 octobre 2012 par Sof

Juste avant la grande manif du 30 seprembre à Paris contre le TSCG j'ai réussi à organiser dans des délais démentiels une conférence-débat à l'ENS de Lyon avec un économiste atterré, Jean-François Ponsot (prof d'économie à Grenoble 2 et spécialiste des régions monétaires). Contacte avait été pris pendant l'été pour envisager une intervention dans le cadre de la campagne contre le Traité budgétaire... sans que j'imagine l'urgence des évènements. Bref, a peu près seul à l'orga avec une com' d'une petite semaine ça a fini à plus de 50 personnes pour une remarquable présentation de la situation. Est ressortie des échanges la pertinente analyse de Jean-François Ponsot sur les types d'arguments pour le Traité. Le lendemain ce dernier publiait sur Rue 89 un article détaillant les 5 apôtres de l'austérité:

L’intégriste, l’idéaliste... Les 5 apôtres de la discipline budgétaire

La perspective de ratification du traité européen – le TSCG – a obligé ses défenseurs à préciser leurs arguments en faveur de la discipline budgétaire. Cinq profils d’apôtres de la discipline budgétaire peuvent être identifiés : l’intégriste, le moraliste, l’idéaliste, le frappé (au coin du bon sens) et le cynique. Surprise, ils ne sont pas tous libéraux.

L’intégriste

L’intégriste considère que l’équilibre budgétaire, voire l’excédent, devrait être la norme. Un Etat qui s’endette n’est pas seulement coupable d’un manque de rigueur qui l’obligera à augmenter les impôts. Il met en péril l’ensemble de l’économie.

Puisant ses arguments dans la théorie économique des anticipations rationnelles, l’intégriste considère que le laxisme budgétaire génère inévitablement de l’inflation. Il convient donc de circonscrire l’action discrétionnaire du gouvernement en lui imposant un carcan budgétaire.

L’intégriste accepte sans sourciller une complète soumission à son dieu et s’emploie à lui afficher sa constante fidélité. Ainsi les avocats du TSCG considèrent-ils que la règle d’or – un déficit structurel inférieur à 0,5% – permettra de consolider la crédibilité budgétaire aux yeux des marchés financiers. Sans elle, point de salut. Les marchés douteront et sanctionneront à la moindre tension sur les finances publiques. Le ministre allemand des Finances s’inscrit dans cette catégorie.

Les craintes de l’apôtre intégriste sont cependant infondées. Aucun lien automatique entre déficit budgétaire et inflation n’est établi par les études empiriques des économistes. Cette idée relève du fantasme. En particulier en Allemagne, où l’hyperinflation de 1923 a laissé des traces dans les esprits.

Quant à la garantie de la crédibilité à travers l’adoption de règles intangibles de politiques intangibles, elle n’est pas assurée. L’exemple argentin des années 1990 montre que les règles trop rigides – comme la loi de convertibilité de 1991 – finissent par exploser. Et on peut se demander avec Frédéric Lordon si la quête de la crédibilité n’est pas une « vis sans fin », un objectif inatteignable, tant les exigences des marchés financiers sont élevées.

Le moraliste

Le deuxième de nos apôtres observe la dette publique d’un mauvais œil. Pas seulement la dette de l’Etat. Toute dette est par nature mauvaise, c’est un fardeau dont il faut se délivrer.

La dette de l’Etat a cependant une particularité qui tracasse davantage encore notre apôtre moraliste. Elle peut se transmettre de génération en génération si elle n’est pas remboursée. Le moraliste considère alors l’héritage de la dette avec culpabilité. N’est-il pas injuste de faire porter sur les épaules de nos enfants et de nos petits-enfants le fardeau de nos errements ?

Ici, celui qui équilibre ses comptes est vertueux. Il ne met pas en place des politiques d’austérité mais de rigueur. A l’inverse, ceux qui accumulent une dette sont des laxistes qui ne savent pas contenir leurs pulsions dépensières. Ce sont les gouvernements du Club Med.

Il faudra alors soumettre leurs décisions de dépenses à une instance supérieure. En septembre 2012, le Haut conseil des finances publiques a justement été créé pour vérifier le respect de la règle d’or et de la trajectoire d’ajustement du gouvernement français.

L’article 5 du TSCG prévoit qu’à partir de 2013, tout pays soumis à une procédure de déficit excessif devra soumettre son budget à la Commission et au Conseil européen. Si le débiteur persiste encore, il faudra le sanctionner. Le Pacte budgétaire s’inscrit dans cette démarche en reprenant le principe de sanctions automatiques définies dans le « six pack ».

L’idéaliste

Certains avocats du pacte budgétaire adoptent une position en apparence contradictoire :

  • d’une part, ils dénoncent les orientations libérales de la construction européenne et les dangers des politiques d’austérité ;
  • d’autre part, ils préconisent la ratification du TSCG qui institutionnalise ces prescriptions libérales et ces règles restrictives.

En réalité, ils font un choix : celui de l’idéal européen. La construction européenne avant tout ! Tant pis si elle n’est pas conforme au modèle économique et social que l’on défend a priori.

L’apôtre idéaliste européiste se donne parfois du courage – ou bonne conscience – en expliquant qu’il vaut mieux avancer dans la construction de l’Europe, même si elle est « imparfaite pour l’instant », que ne pas avancer du tout. On infléchira les orientations par la suite. Ne vaut-il pas mieux monter dans le bus et demander au chauffeur de modifier sa route plutôt que de rester au bord de la route au prétexte que la destination affichée n’est pas la bonne ?

C’est la position de Daniel Cohn-Bendit qui a claqué la porte d’EELV après le « non » au TSCG voté par le parti vert. L’apôtre idéaliste peut adopter des positions encore plus catégoriques. Jean-Marc Ayrault ne se laisse-t-il pas emporter par son idéal européen lorsqu’il laisse entendre que c’est le « oui » au TSCG ou la sortie de l’euro ? Lors du référendum de 2005, cette vision exagérément dichotomique – le « oui » ou le chaos – avait été pour le moins contreproductive.

Le frappé (au coin du bon sens)

La revendication d’une méconnaissance des questions de finances publiques sert parfois à justifier la défense du principe de l’équilibre budgétaire. Les apôtres de la discipline budgétaire les plus nombreux ne sont, en effet, ni experts, ni décideurs politiques, encore moins des acteurs de la finance libéralisée.

Certains citoyens adoptent cette approche décomplexée par rejet des élites et des experts, d’autres par volonté plus modeste de participer au débat public. Leur point commun : considérer que l’équilibre des dépenses et des recettes est un principe intangible frappé au coin du bon sens.

Très souvent, la situation financière d’un ménage ou d’une entreprise sert de référence. Comment un Etat peut-il vivre indéfiniment au-dessus de ses moyens ? Dès lors, tout Etat endetté est assimilé « logiquement » à un agent économique en faillite. Toute nouvelle dépense est jugée superflue (« On n’a pas les moyens », « les caisses sont vides »).

Si cette approche a le mérite de la simplicité, elle repose sur une erreur de raisonnement : l’Etat n’est pas un agent privé et sa dette n’est pas de même nature.

Le cynique

Le dernier de nos apôtres ne considère pas la discipline budgétaire comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen de parvenir à la mise en œuvre de réformes économiques structurelles.

Cette vision cynique suppose que les restrictions budgétaires obligeront l’Etat à réduire son périmètre d’intervention et à engager des réformes libérales. Moins de dépenses publiques, donc moins de protection sociale et de redistribution. En imposant un carcan budgétaire, on aboutirait ipso facto à une déréglementation accélérée du marché du travail (baisse des salaires des fonctionnaires, etc.) et à la réforme des systèmes de santé et des retraites que l’on a pu imposer auparavant.