Dans l’apparence ordinaire d’une silhouette arrachée à la nuit ou épinglée au mur d’une rue anonyme, la fugacité tactile d’une lumière du soir, dans tous ces gens à se frotter à la ville et à ses déserts. Dans l’apparence de bête perdue qui nous gagne parfois. Dans les images qui en rendent compte, ne se donne à voir qu’un regard en retrait. Le recul du regard en amont de lui-même. Si bien que regarder ces images, c’est voir la vue même, posée au devant d’elle-même, surprise dans sa fabrique. On ne dira jamais des photographies de Dolores Marat qu’elles donnent à voir des morceaux du monde savamment découpés ; que ce serait dans le choix de ses sujets, dans la justesse de la découpe que se logerait leur charme. Ou alors, disant cela, on aurait toute les chances de tuer les images, de nous les rendre inatteignables, inintelligibles, soumises aux fictions pauvres que l’on tisse à la hâte par dessus le mystère que l’on croit percevoir dans chaque silhouette retranchée à la vie. On ne dirait rien de plus que ce que l’on dit toujours de ces images qui passent et que l’on se croit obligé de commenter. On commencerait mieux en disant que ces images montrent des photographies, que ce qu’elles s’en vont capturer ou construire, ce sont des photographies : non pas le réel, mais ce que l’on s’en fait dans l’œil et dans la tête. D’où vient, dans la surproduction photographique qui nous submerge à longueur de jours, que les photographies de Dolores Marat nous retiennent ? Qu’elles fassent l’effet de nous parvenir dans l’évidence des images premières ; comme effeuillées aux vieux albums de famille dont les silhouettes pâles et bordées de nuit portent quelque chose de vous que vous reconnaissez être ce qui depuis toujours vous échappe ? On a dit les lumières, la texture si particulière des tirages Fresson, les êtres surpris dans leur solitude, frères de ceux qui peuplent l’Amérique de Hopper. On a approché la chose en évoquant le cinéma, les films possibles qui se dessinent dans la suite des images. Elle qui dit : « L’identité est à mes yeux : les hommes et les femmes qui durant des instants de vie se retrouvent plongés au plus profond d’eux-mêmes, radicalement coupés du monde ». A-t-on dit depuis où venaient ces images et à la rencontre de quoi elles se rendaient ? Leur lien avec l’espace ? Que peut-être elles avaient un lien avec cette interrogation de Saint Augustin se demandant comment il est possible d’être au présent et avoir en même temps suffisamment de recul pour s’apercevoir que le temps passe.
Quelques images sont visibles en ce moment à la galerie François Besson, Lyon, à l'occasion de l'exposition 'sou le soleil exactement'. Jusqu'au 24 octobre 2012.