Voici un article paru le 28 mars 2008 sur le site du quotidien français Le Monde. Il est signé Bruno Philip, leur correspondant en Chine, et paraîtra dans l'édition du 29 mars.
Cet article retrace les relations entre le Tibet, autrefois pays autonome et indépendant, et la Chine, qui en a fait une région autonome, faisant partie de la Chine.
Quels sont les arguments chinois pour justifier une souveraineté sur le Tibet?
Historiquement, le Tibet a-t-il toujours été sous contrôle?
Le Tibet, obsession impériale
Pour Pékin, la cause est entendue : le Tibet est partie intégrante de la Chine et il n'est pas question de remettre en cause ce fait sculpté dans le marbre de l'histoire. L'affirmation ignore cependant la complexité des relations qu'ont entretenues au fil des siècles la Chine impériale et le royaume des dalaï-lamas : les rapports sino-tibétains ont été marqués par des périodes où le Tibet s'est retrouvé en position de vassalité ou de dépendance avec Pékin, d'autres, où il a joui d'une totale indépendance politique.
Outre le fait que le Tibet est distinct de la Chine sur les plans ethnique, religieux, linguistique et culturel, la façon dont Pékin justifie sa légitimité sur l'ancien royaume de Haute-Asie offre une version simplifiée et sino-centrée de la nature des rapports entre les deux grands voisins. Au moment où l'on assiste à un nouveau sursaut des habitants du Toit du monde qui, pour l'essentiel, n'ont jamais "digéré" le contrôle exercé sur eux par Pékin, la colère tibétaine contre les Chinois est une preuve de plus que ces derniers sont perçus à Lhassa comme des colonisateurs.
Tout commence sous la dynastie des Tang, quand le Tibet du grand roi Songtsen Gampo (617-650) et la Chine établirent les premiers liens formels entre les deux pays. Le souverain tibétain avait même épousé une princesse chinoise pour bien marquer son souhait d'instaurer une relation durable avec la Chine. Bien plus tard, si le Tibet se retrouve, au XIIIe siècle, incorporé au sein de la dynastie des Yuan, les Tibétains ont beau jeu de mettre en doute la validité de cette justification a posteriori d'une légitimité chinoise : cette dynastie est fondée par des Mongols, héritiers de l'empire de Gengis Khan qui ont notamment défait les armées des Song chinois. Comme le relèvent certains historiens, les Mongols avaient à l'époque envahi la Birmanie du Nord, les régions septentrionales du Vietnam, de la Corée et de certaines zones sibériennes : Pékin ne les revendique pas aujourd'hui comme étant siennes...
Plus tard encore, la nature de la relation de suzeraineté de la Chine sur le Tibet n'est pas aussi claire que veulent le laisser croire les Chinois quand ils prennent l'exemple de la tutelle exercée par Pékin sur Lhassa au temps de l'Empire mandchou des Qing (1644-1911), eux-mêmes des "barbares" non chinois du nord qui avaient écrasé la dynastie chinoise Ming : si les nouveaux maîtres de la Chine vont imposer leur "ambassadeurs-résident" à Lhassa, la relation sino-tibétaine ne prendra jamais la forme d'un total assujettissement du Tibet à la Chine. Les historiens non chinois soulignent que sous le règne du grand empereur Qianlong (1736-1796), le Tibet se retrouva de facto dans une position de vassalité à l'égard de son voisin, mais la relation entre les deux pays resta placée sous le signe d'une "non interférence (de la Chine) dans la politique intérieure du Tibet".
Au-delà des divergences d'interprétation à propos de la légitimité chinoise sur le Tibet, l'impatience démontrée par Mao Zedong, qui envoie ses troupes sur le Toit du monde dès 1950 dans la foulée de son arrivée au pouvoir en dit long sur l'importance que revêt la région aux yeux des Chinois : alors qu'il ne va pas tarder de s'engager dans la guerre de Corée, le Grand Timonier n'a rien de plus pressé que d'élargir l'empire en s'emparant du "l'Entrepôt de l'ouest" (Xizang), le Tibet.
Si la Chine tient tant ces altitudes himalayennes, ce n'est pas seulement en raison de l'idée particulière qu'elle se fait de ses frontières historiques. Cet immense territoire perché sur les hauts plateaux lui permet surtout de disposer d'une confortable profondeur stratégique et, au moins jusqu'à la fin de la guerre froide, de s'assurer du contrôle d'une zone tampon en cas de conflits avec l'Union soviétique et l'Inde. La donne a changé aujourd'hui, les relations avec la Russie se sont normalisées et celles avec l'Inde améliorées, mais ces évolutions n'empêchent pas le pouvoir chinois de considérer que la possession du Tibet reste essentielle à sa stratégie.
CONTAGION DANS L'EMPIRE
Le Tibet est le berceau des grands fleuves de l'Asie orientale irriguant la Chine parmi lesquels le Mékong et le Brahmapoutre. La région représente un réservoir d'eau de toute première importance pour une Chine de plus en plus dépendante de son potentiel hydroélectrique. Les ressources en minéraux, notamment en cuivre, recélés par les sous-sols du Tibet, ajoutent encore à l'importance de la région. Pourtant, selon certains spécialistes, il est peut-être plus onéreux pour Pékin d'exploiter de telles matières premières que de les acheter sur le marché international.
Mais si la Chine ne lâchera jamais le Tibet - pas tant que le Parti communiste sera au pouvoir -, c'est pour une raison encore plus fondamentale : le régime pékinois ne peut se permettre de laisser les Tibétains scander des slogans indépendantistes dans les rues de Lhassa car il lui faut prévenir toute contagion dans le reste de l'empire. Les Ouïgours musulmans des franges occidentales, dont les plus radicaux ont constitué des mouvements séparatistes ou islamistes, les Mongols du Gobi, voire d'autres minorités, doivent comprendre que tout soulèvement n'a pas d'avenir et sera réprimé.
Pour Pékin, hanté de tout temps par l'obsession de la stabilité, échaudé par l'ère gorbatchévienne qui a fait exploser l'URSS, l'unité de la Chine est à ce prix. Voilà pourquoi le Tibet restera chinois. Les maîtres du régime communiste pékinois n'ont pas toujours choisi que la manière forte. L'insurrection de Lhassa, en 1959, va certes être noyée dans le sang. Mais l'arrivée d'un réformateur à la tête du parti, Hu Yaobang, après la chute de la "bande des quatre", va conduire les nouveaux dirigeants à admettre que des erreurs ont été commises au Tibet. Et qu'il vaudrait mieux y pratiquer une politique consistant à redonner plus de pouvoir aux cadres tibétains du parti, afin que, sous la bienveillante houlette de Pékin, ces derniers puissent gérer au mieux les affaires de leur "région autonome".
Mais Hu Yaobang est brutalement évincé en 1987, des émeutes éclatent à Lhassa, à nouveau en 1988, et la loi martiale est imposée en 1989. Un autre Hu, Hu Jintao, l'actuel président de la Chine, vient alors d'être nommé patron du Parti communiste pour le Tibet. Il mate la rébellion à Lhassa et prépare une campagne de reprise en main au nom évocateur : "Frapper fort" (Yan da). M. Hu a été réélu, le 14 mars, avec plus de 98 % des voix par les délégués de l'Assemblée nationale populaire. Jeux olympiques ou pas, il y a fort à parier qu'il continue, au Tibet et ailleurs, de frapper encore. Aussi fort.
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