«Joie du travail, de la tranquillité, de l'équilibre. Sereine gravité de la pensée. Commencé à traduire les poèmes de Kabir», écrit Gide dans son Journal. Nous sommes à la fin février 1916, Gide est à Paris, comme désœuvré : on le croit à Cuverville mais la neige et le verglas ne lui permettront de s'y rendre que début mars, au terme d'un «voyage de dix-huit heures, agrémenté d'une collision à Serquigny; quatre ou cinq morts et une vingtaine de blessés. (Voir les journaux).»
A la guerre se surajoute pour Gide une crise religieuse, qui débouchera sur Numquid et tu ?, l'impression aussi que sa vie est en grande partie derrière lui et qu'il est temps de commencer à écrire ses mémoires. «Jours indiciblement mornes; pluie incessante et vent glacé. Repris la rédaction de mes Mémoires; traduit quelques pièces de Kabir et poursuivi la lecture de Jean-Christophe.» (Journal 28 mars 1916)
Dans ces moments, la simplicité et les questionnements de ce tisserand illettré qui allait devenir le père de la langue et de la littérature hindi, sa spiritualité mêlant hindouisme et islam, ainsi qu'un peu de zen dans son côté paradoxal, apportaient dépaysement et ressourcement à Gide. C'est bien entendu par Tagore, dont il avait traduit de l'anglais des parties du Gitanjali quelques années plus tôt, que Gide eut connaissance des poèmes de Kabîr.
On doit à Jean-Claude Perrier, qui avait déjà exhumé Le Ramier des archives de Gide, cette nouvelle trouvaille. Il explique : «Pour rompre avec les habituels intitulés "chansons", "poèmes" ou "paroles", nous proposons au lecteur français, sous le beau titre La Flûte de l'Infini, les traductions, totalement inédites, par André Gide, de vingt-deux poèmes de Kabîr, plus un tercet non identifié. En regard, leur version anglaise par Rabindranath Tagore. À la suite, nous donnons l'intégralité du recueil des Poèmes de Kabîr, dans l'édition de 1922 et la traduction d'Henriette Mirabaud-Thorens.»