Patrick Steiner, Il Veggente, installation, détail, 1997
Je crois que les parcs d’art contemporain en plein air sont les meilleurs endroits pour s’approcher de l’art contemporain. Si parmi vos résolutions pour cette année il y a partir à la découverte de l'art contemporain, je vous suggère de vous rendre dans l’un de ces lieux spéciaux (une petite liste ici).
Cet été, pendant un court séjour en Toscane, j’ai pu visiter le Giardino di Daniel Spoerri, qui se trouve sur les pentes douces des collines du Monte Amiata, dans la commune de Seggiano. Le terrain, dont l’artiste Daniel Spoerri est le propriétaire, abrite une centaine d’œuvres d’artistes différents, que l’artiste choisit en fonction du cadre naturel et de l’affinité. Le contexte est justement le mot clé dans un parc de sculptures en plein air : l’emplacement des œuvres est fait normalement par l’auteur même et par le commanditaire, et l’une (l’œuvre) ne peut pas se passer de l’autre (le contexte). C’est ce dialogue entre les éléments naturels et les créations de l’homme qui fait, à mon sens, la richesse et la spécificité d’un parc d’art contemporain en plein air.
Daniel Spoerri, Ombelico del mondo, installation 1991
Certaines d’entre elles, par exemple Ombelico del mondo, de Daniel Spoerri, sont particulièrement scénographiques: il s’agit d’une installation composée de 9 crânes de chevaux en bronze, pourvus de longues cornes, en forme de cercle. Outre la dimension symbolique et mystique liée à la forme circulaire (et à l’unicorne), cette sculpture possède une aura particulière, due à sa position, sur une colline qui domine le jardin et surplombe le village de Seggiano. Ce caractère magique revient souvent dans les œuvres du jardin, par exemple avec Otto incubi magri, toujours de Daniel Spoerri, où l’on voit des figures monstrueuses composées d’éléments humains ou animaliers qui évoquent, par leur vraisemblance, d’autres monstres créés par les artistes surréalistes (par exemple les poupées de Hans Bellmer ou certains personnages mouvants de Jean Tinguely). Il faut savoir que Daniel Spoerri vécut à Paris dans les années 1960 et connut quelques artistes surréalistes, tels Marcel Duchamp ou Man Ray.
Daniel Spoerri, otto incubi magri, sculptures, 2002
D’autres installations évoquent la culture classique. C’est le cas des planches en marbre qui, comme des stèles funéraires, commémorent certaines femmes mythiques (Léda, Cléopâtre, Frida Kahlo, Isadora Duncan…), à travers des éléments qui appartiennent à leur biographie ou à leur iconographie (l’aile du cygne pour Léda, par exemple, ou le serpent pour Cléopâtre). Le titre, Duodecim ultimae caene de claribus muliebris, nous donne la clé de lecture de cette installation en jetant un pont entre la culture gréco-romaine et la tradition chrétienne.
Daniel Spoerri, Duodecim ultimae caene de claribus muliebris, détail, 2008
Vous l’aurez remarqué, les œuvres dont je vous ai parlé sont toutes de Daniel Spoerri : cela n’est pas un hasard. Sauf quelques exceptions (Dies Irae, d’Olivier Estoppey, Isola nell’isola, de Luciano Massari, Penetrabile sonoro de Jesus Raphael Soto, Il veggente de Patrick Steiner…), je trouve que celles du « maître des lieux» sont les plus réussies.
Luciano Massari, Isola nell'isola, sculpture, vue d'ensemble et détail, 2007
Un petit mot sur la sculpture de Luciano Massari, Isola nell’isola. Il s’agit d’une grande bassine en marbre blanc de Carrara, le matériel de prédilection de la statuaire classique, qui se dresse au milieu de la pelouse comme un météorite ou bien, comme le titre l’indique, une île. A l’intérieur, taillé suivant les lignes de dénivelé, on découvre une petite protubérance circulaire, la deuxième île du titre. La similitude entre cet objet et l’île est encore plus évidente quand la bassine est remplie d’eau pluviale. Cette sculpture, mystérieuse et abstraite, serait complètement muette si le titre ne nous expliquait pas les intentions de l’artiste. Souvent les titres des œuvres du Giardino surprennent le visiteur et l’accompagnent dans leur compréhension, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’art contemporain.
Voilà une raison de plus de visiter ce lieu, où même les néophytes trouveront satisfaction.