Et quand on dit « il y a longtemps », ça ne veut pas dire du temps des Romains. En Europe on prononça encore cette peine dans la première moitié du 19e siècle.
Elle fut aussi abolie au Chili en … 1943.
Le système helvétique, qui repose sur un perfectionnisme pathologique reproduit, non sans une profonde volonté populaire, le principe de la mort civile. Dès qu’un individu dépasse de trois poils la norme, accumule quelques dettes ou a la malheur de faire faillite dans une entreprise, les multiples fichiers plus ou moins licites des banques et autres instituts d’espionnage économique le cernent et l’englobent.
A vie, il ne pourra plus louer une voiture, aura le plus grand mal à louer un appartement, ne pourra plus percevoir pendent trente ou cinquante ans la totalité de son salaire pour que des créanciers, souvent peu scrupuleux, puissent se payer sur la bête immonde.
L’imprescriptibilité des actes de défaut de biens, les notes perpétuelles (du moins pour les initiés) qui subsistent dans les offices de poursuites, la toute puissance des banques et de leurs agences de renseignements économiques, font du résident helvète qui aurait fauté un mort civil des temps modernes.
Car en plus d’être empêché, l’intéressé est aussi jugé. Par ses pairs surtout, qui estiment très généralement que lorsque que l’on fait une bêtise on paye. En droite ligne de la pensée néolibérale qui sous-tend la grande majorité des réactions du Suisse moyen. Tant que ça ne le concerne pas.
A l’inverse des États-Unis, où quelqu’un d’entreprenant peut se tromper et faire faillite sans que cela hypothèque sa vie, en Suisse, avec la complicité de la loi et la bienveillance du législateur, le failli est aussi un mort civil.
On ne lui pardonne aucune faute, comme si l’expérience ne permettait pas de tirer des conclusions et de faire mieux la prochaine fois. La deuxième chance n’est pas suisse, car dans ce pays on achève non sans un mystérieux plaisir collectif celui qui s’est trompé et a souvent perdu beaucoup d’argent.
Dans de nombreux domaines du droit, ce statut devrait être revu. Et dans le domaine des sociétés de renseignements économiques, une razzia est nécessaire. Il n’est en effet pas humain que pour une erreur commise dans le domaine de la gestion, un individu finisse à la rue où au services sociaux, sans qu’aucune porte ne lui soit plus ouverte autre que celle de la solidarité du minimum vital constitutionnel. Et ceci à jamais.