Après une élection, on ne peut pas reprocher aux uns et aux autres de chercher à réinterpréter le scrutin, à refaire le match, à tirer la couverture électorale vers eux. L'Etat UMP a été parfaitement ridicule sur ce point, bien entendu.
Benoît Hamon et Henri Emmanuelli publient une tribune pour dire que la victoire de la gauche aux municipales signifie que "les Français" veulent une gauche qui soit vraiment à gauche. Cela dit, moi aussi, je veux une gauche qui soit vraiment à gauche, alors pourquoi est ce que je m'en plains ? D'ailleurs, MM. Hamon et Emmanuelli disent pas mal de choses très censées. D'abord ceci, qui est évident, mais quand même bien dit :
Les 58 villes de plus de 20 000 habitants conquises par la gauche traduisent l'ampleur de cette défaite. Il peut sembler banal de l'affirmer mais cela est nécessaire tant l'impudence, voire l'autisme des ministres et des dirigeants de l'UMP sur les plateaux de télévision confinait au déni de réalité. Le nombre de villes conquises donne une dimension incontestablement nationale à cette défaite.
Ensuite ceci, qui rappelle ce que je disais de Bayrou à la veille du second tour :
En entendant François Bayrou, au soir du premier tour, appeler en vain les électeurs palois à faire barrage aux "socialo-communistes", il nous revenait en mémoire cette définition que François Mitterrand donnait du centre dont il affirmait, non sans humour, qu'il n'était ni de gauche ni de gauche".
En effet, on sait bien que l'opportunisme du MoDem a sérieusement affaibli le parti sur le plan idéologique. Et les résultats ainsi obtenus ne font pas du MoDem un grand parti. Le seul véritable atout de Bayrou et du MoDem, par rapport aux autres petits partis, c'est leur position plus centrale que centriste. En menaçant de quitter la droite pour la gauche, ou la gauche pour la droite, les voix du MoDem comptent double : autant de voix en moins pour les uns, autant de voix de plus pour les autres. Quand un Besancenot ou un de Villiers menacent de lâcher leurs partenaires potentiels, la nuisance est moindre. Mais si c'est là la force stratégique du MoDem, c'est aussi sa faiblesse, car ce positionnement implique une versatilité idéologique qui finit par nuire à la crédibilité de toute l'opération. Surtout en périodes de fortes polarisations, comme c'est le cas actuellement, ce qui nous ramène à Hamon et à Emmanuelli :
La figure classique est celle de la bipolarisation entre la gauche et la droite. Une bipolarisation dont nous n'hésitons pas à affirmer qu'elle est saine pour notre démocratie, qui a besoin d'options différenciées et de confrontations d'idées et de projets.
Mais au fait, qu'est-ce qui nous dit que nous sommes en période de grande "bipolarisation" ? Aux municipales, le rejet massif de la droite ne s'est pas concrétisé par une adhésion massive au programme du PS, du moins sur le plan national. Le rejet de la droite est fort, et la tendance d'une implantation socialiste sur le plan local se confirme d'élection en élection. Et surtout, même en admettant que "les Français" souhaitent une gauche qui soit vraiment à gauche, rien dans les resultats ne permet de dire que la gauche souhaitée soit précisément celle incarnée par des gens comme Hamon et Emmanuelli.
Alors qu'aux Etats-Unis, en Angleterre et, demain, en France et en Europe les dirigeants seront soumis à la nécessité de prendre des mesures radicales de sauvetage du système bancaire et de se tourner vers des formes nouvelles de régulation publique de l'économie, il serait paradoxal que la gauche française, en quête d'une illusoire modernité, "mue" à contresens de l'histoire.
Si l'analyse de la situation financière est encore une pertinente, et presque consensuel, du moins à gauche. Son application au PS est pourtant douteuse : qui, au PS, est pour une dérégulation totale des marchés financiers ? Même les plus strauss-kahniens des DSKïens ne se diraient pas en faveur d'une libéralisation de la finance internationale. Le fait que le libéralisme bancaire se soit heurté si honteusement aux limites de son idéologie ne peut pas constituer un message qui s'adresse au PS. S'il y a évidemment des leçons intéressantes à glâner dans l'histoire des subprimes, elles seront surtout utiles face à la droite et surtout à la droite libérale : "regardez ce qui se passe quand on donne trop de liberté aux marchés financiers : ils reviennent à la maison en pleurs, la queue entre les pattes". Oui, c'est intéressant et important. Non, cela ne permet de choisir "la gauche véritable", et encore moins de dire que les PS doit se concentrer sur son aile gauche. Non, cela ne permet pas de dire que la stratégie de Ségolène Royal n'est pas la bonne.
Tous ses éléments sont intéressants pour le PS : victoire aux municipales, faiblesse du MoDem, lecture de la crise bancaire. Toutefois, ils ne permettent pas de décider quel doit être le positionnement du PS, ou quel courant à l'intérieur du PS doit prendre le dessus. Puisque l'heure est celle de la réflexion, il me semble que tout cela indique surtout que le renouveau du PS ne va pas venir de ce genre de choix - à fond à gauche ou à fond au centre ; 80% gauche, 20% droite, 99% gauche 1% droite, ou tout autre savant mélange, mais dans une réflexion sur ce qui constitue ces pôles. Mais il faudra que ce soit pour un autre billet. Voire plusieurs. Pour l'instant, l'essentiel c'est qu'il n'est pas évident ce qu'est "une gauche qui est vraiment de gauche". Les circonstances actuelles ne permettent pas de le dire, il va falloir effectivement réfléchir.