Le sentez-vous, ce petit vent de panique qui souffle doucement dans les couloirs de l’Élysée ? La sentez-vous, cette bise glaciale et persistante, peu audible mais têtue, qui se glisse dans les salons feutrés de Matignon ? Le voyez-vous, ce courant d'air froid qui se répand, inexorablement, dans tous les ministères alors que chaque ministre découvre, effaré, l'ampleur de la crise ? Non ?
Pourtant, il se fait chaque jour plus visible, plus audible et plus froid.
Prenez par exemple le Don Quichotte de l'automobile : parti sur son petit poney républicain à l'assaut du monde entier, décidé à faire plier le commerce international, à commencer par les Coréens, déterminé à dicter leur conduite aux patrons de grandes entreprises françaises, chaque bataille contre les moulins qu'il se sera lui-même désigné se sera soldée par un cuisant échec. Et malgré ces bérézinas, le bellâtre frétillant a conservé son bras tendu pour exhorter les foules à rallier son panache tous les jours moins blanc.
Forcément, à un moment ou un autre, cela devait se voir qu'il n'était qu'un accessoire cynique dans l'outillage socialiste pour faire passer les pilules désagréables. Il était inévitable qu'un jour, la réalité entrerait violemment en collision avec ses illusions de grandeurs. Et devant l'adversité, l'accessoire s'est carapaté, le pleutre s'est bien vite rangé des bicyclettes et est allé voir ailleurs s'il n'y était pas. Il n'y aura donc pas plus de Montebourg au Mondial de l'Auto que de beurre en branche cette année, ou au moins, tant que les vilains grognons et les prochains chômeurs y seront (non mais).
Sentez-vous ces petits grognements sourds qui s'accumulent alors que cet énième gouvernement socialiste est confronté à ses contradictions, d'autant plus fortes qu'on ne pourra les camoufler dans un arrosage libéral de pognon gratuit ? Eh oui : sur les vingt dernières années, pour appâter le vote bobo-écolo, on a tout fait pour cogner contre la voiture, à tel point qu'on en récolte à présent les fruits amers : chômage, désindustrialisation, et une course aux prix les plus serrés que la France ne peut pas gagner, coûts de main d’œuvre stratosphériques obligent. On veut à la fois de l'écologie, un modèle social prodigue de l'argent des autres, et une industrie locale forte. Et zut de zut, ça ne marche pas.
C'était évident dès le début : Hollande voulait griller l'inélégant gêneur Montebourg. Avec ce ministère, il y sera parvenu en moins de six mois. Belle performance. Voulait-il aussi griller Moscovici ? Là, on peut en douter, mais pourtant, tout se profile de la même façon pour le discret patron de Bercy.
En effet, on peut s'interroger sur les motivations qui poussent le ministre de ce qui reste d’Économie et des absences de Finances à écrabouiller consciencieusement l’entrepreneuriat en France ? Quelle mouche a piqué les fiscalistes à la solde d'un Hollande qui adore bidouiller de l'impôt et de la taxe au point de s'obstiner si éperdument à cet objectif ridicule des 3% de déficits dès 2013 ? Objectif ridicule non parce que, comme le prétendent encore quelques économistes atterrants, le déficit serait une excellente chose et qu'il faudrait plutôt viser 10, ou 20 ou même 30% de déficit (après tout, c'est Francfort qui régale !), mais bien parce que l'essentiel de l'effort que le ministre envisage n'est réalisé qu'en augmentant les impôts, taxes, prélèvements et autres ponctions dans des proportions qui ont de loin dépassé la flibusterie en zone de guerre.
D'ailleurs, les Français ne s'y trompent absolument pas dans les déclarations de Moscovici aux odeurs de vaseline industrielle : il peut toujours prétendre que non, non, les classes moyennes ne seront pas touchées par l'averse de vexations fiscales, les sondages, les uns après les autres, partout, montrent que personne n'est dupe. Tout le monde sait que le pouvoir d'achat en peau de saucisson, c'est maintenant, que les fins de mois difficiles, c'est maintenant, que relever le défi de se serrer la ceinture et descendre son pantalon en même temps, c'est maintenant.
Eh oui : cette austérité-là, celle qui fut appliquée à la Grèce avec le brio que l'on sait, et qui consiste à faire maigrir le secteur privé un bon coup pour conserver sa bonne couche de couenne au secteur public, c'est tout de suite, que ça va durer un moment et que ce ne sera pas qu'un petit mauvais moment à passer, mais plusieurs, en enfilade, et de plus en plus douloureux. Et comme le public se nourrit du privé, on comprendra qu'à terme, les deux finissent par maigrir. Or si le privé maigrit trop vite, le public, lui, meurt d'un coup, généralement d'un infarctus très douloureux.
Les expériences grandeur réelle qui sont actuellement tentées en Grèce, en Espagne et en Italie devraient pourtant donner quelques indicateurs sur ce qu'il convient d'essayer et d'éviter, comme - au hasard - augmenter les impôts et ne pas toucher au secteur public.
Par exemple, diminuer les dépenses publiques est une piste sérieuse, à condition de ne pas augmenter aussi les impôts et taxes. En outre, couper aussi dans les dépenses sociales, aussi indispensable cette mesure soit-elle, ne pourra s'accompagner que d'une grogne généralisée d'un peuple qui a par ailleurs été largement habitué aux largesses étatiques. L’Espagne tente actuellement de naviguer cette voie-là, avec les évidentes frictions, plus ou moins violentes, qui s'en suivent.
En Italie, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les coupes budgétaires dans des administrations publiques pléthoriques provoquent les inévitables marées de syndicalistes, outrés qu'on puisse s'adresser aussi à eux lorsqu'il s'agit de réduire la voilure.
Au passage, le traitement médiatique français (quasi-inexistant) de ces nouvelles laisse perplexe. Il est vrai que les soupçons de fraude dans le handball français méritent largement qu'on éclipse ces questions.
Il sera intéressant de voir, ensuite, en fonction des coupes effectives et des secteurs choisis, comment ces pays s'en tireront dans les événements qui pointent le bout de leur nez ; auront-ils choisi les meilleures options et seront-ils donc mieux préparés qu'une France arc-boutée sur une distribution toujours aussi généreuse de prébendes financées par la dette et le secteur privé ?
Gageons qu'en tout cas, comme à son habitude, la France trouvera l'explication qui va bien, le génie analytique qu'il faut pour s'affranchir de toute prise de conscience, et repousser à plus tard la remise en cause de son système sclérosé. Par exemple, il lui suffira de sortir un petit Giscard de son placard, de le dépoussiérer un bon coup - excusez moi pour le nuage toxique - et de le faire discourir sur Krugman ; c'est toujours très amusant puisque cela revient à demander à un plombier d'évaluer les analyses de l'électricien sur un problème de physique nucléaire. On sent que le premier raconte n'importe quoi sur l'examen grossier effectué par le second. Et puis, c'est toujours amusant de lire qu'"il n'y a pas de crise de l'euro".
Giscard, Montebourg, Moscovici, Hollande... Avec des bras cassés pareils, pas de doute, ce pays est foutu.
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