Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau – Le singe de Hartlepool

Par Yvantilleuil

Mieux vaut rire de la bêtise humaine…

Ce one-shot signé Wilfried Lupano (Alim le tanneur, L ’assassin qu ’elle mérite, L ’Honneur des Tzarom, L ’homme qui n ’aimait pas les armes à feu, Azimut) et Jérémie Moreau s’inspire d’une anecdote folklorique peu glorieuse, qui fait partie de la légende de la petite ville côtière d’Hartlepool, sur la côte Est du nord de l’Angleterre.

En 1814, un navire français s’échoue le long des côtes anglaises et les habitants d ’Hartlepool découvrent un survivant parmi les restes du naufrage. N’ayant jamais vu ni entendu de français, ils prennent un chimpanzé déguisé en officier par des marins qui en avaient fait leur mascotte, pour un espion de Napoléon. Leur haine viscérale envers l’ennemi aidant à transformer cette ignorance en bêtise, ils décident donc de pendre le pauvre singe haut et court.

Dès les premières planches, Wilfried Lupano nourrit son récit de la rivalité qui oppose français et anglais depuis des lustres. Les dialogues sont cinglants et les répliques balancées à la tête de l’ennemi sont souvent hilarantes. Il faut dire que les personnages, de l’ancien combattant ayant perdu ses jambes au Québec au maire tavernier qui ne se contente pas de mettre des bières sur le comptoir de son bistrot, mais qui tente également de mettre son village sur la carte à travers la capture de ce bouffeur de grenouilles, sont particulièrement truculents.

Cet album est donc profondément drôle car les auteurs ont choisi de rire de la bêtise humaine, alors qu’il serait probablement plus approprié d’en pleurer. D’ailleurs, derrière ses allures de comédie, cet album emprunte un ton beaucoup plus sombre. Entre deux rires, l’auteur dénonce la bêtise humaine et le racisme basé sur l’ignorance et la méconnaissance de l’autre. Ce nationalisme stupide est malheureusement d’actualité et les mouvements de foule qu’il provoque n’ont certes rien de rigolo, pourtant cette dénonciation qui joue délibérément la carte de parodie fonctionne à merveille. Bien joué !

Derrière cette splendide couverture, le lecteur peut également découvrir l’étendue du talent de Jérémie Moreau. Pour son premier ouvrage, ce jeune dessinateur, lauréat du Prix Jeunes Talents au Festival d’Angoulême en 2012, livre de l’excellent boulot en proposant un dessin délicieusement caricatural rehaussé d’une colorisation judicieuse, qui accompagne brillamment ce savant mélange entre parodie et drame.

Un conte universel drôle et cruel sur la nature humaine, qui vient s’ajouter à cette superbe collection Mirages des éditions Delcourt.

Retrouvez cet album dans mon Top de l ’année !

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