En première année de licence Sciences du Vivant, à l’université Paris VII, un des Travaux Pratiques du cours ‘Diversité et évolution des organismes vivants’ est bien sympathique puisqu’on emmène les étudiants à la Grande Galerie de l’Evolution pour une visite guidée! L’idée c’est d’une part de leur en mettre plein les mirettes pour leur donner envie de s’impliquer dans le cours, et d’autre part d’illustrer certaines notions évolutives avec des exemples piochés dans les collections du musée.
Et bien c’est qu’à eux seuls, ces 5 squelettes de papattes résument parfaitement deux concepts hyper importants en évolution, les concepts d’homologie et de convergence évolutive!
Le groupe auquel appartiennent ces 5 animaux est celui des amniotes. Cela signifie que leur dernier ancêtre commun était adapté à une vie terrestre, trainant sa bedaine sur la terre ferme à l’aide de ses 4 pattes et pondant des œufs hors de l’eau. Si on avait rajouté le squelette d’une patte de grenouille, cela aurait étendu le club à celui de tous les tétrapodes, l’ensemble de la lignée des animaux descendus d’un ancêtre quadrupède. En effet, l’une des caractéristiques spécifiques des tétrapodes, ce sont 4 membres osseux ayant une structure très particulière: les membres chiridiens!
Kiriquoi? Chi-Ri-Dien! Ca vient du grec [χείρ] ou cheir ce qui signifie la main. D’ailleurs, petit cours d’étymologie, vous retrouvez ce préfixe dans chiropractie, chiromancie, kir royal (bizarrement, cette blague passe mieux à l’oral…). Le membre chiridien, c’est une innovation évolutive qui a accompagné l’émergence des tétrapodes. En plus, il a une structure très particulière le bougre! Il se compose de trois parties :
- Le stylopode formé d’un seul os qui s’articule sur la ceinture pectorale (l’épaule) pour les membres antérieurs ou pelvienne (le bassin) pour les membres postérieurs [humérus dans le bras, fémur dans la jambe]
- le zeugopode (oui c’est un vrai mot… qui vaut son paquet de points sur Wordfeud™ ) formé de deux os droits et parallèles [radius/ulna dans le bras, fibula/tibia dans la jambe]
- l’autopode composé d’une multitude d’os et portant les doigts [carpe/metacarpe/phalanges pour la main et tarse/metatarse/phalanges pour les petons]
Du coup si on se penche sur notre vitrine, on reconnait bien cette structure sur les 5 membres antérieurs. Vran avait d’ailleurs dessiné de sublimes représentations des membres pour clarifier la situation:
Quand on retrouve cette similitude d’organisation chez ces différents animaux, on doit se rendre compte qu’il s’agit d’une ressemblance qui a été héritée! Le membre chiridien est donc ici un exemple de ressemblance provenant de l’héritage d’un ancêtre commun. C’est ce qu’on appelle une homologie vraie.
Mais comme tout héritage, les descendants peuvent en faire ce qu’ils veulent! A ce titre là, nombreux sont les tétrapodes qui, ayant pourtant hérité de magnifiques membres chiridiens, les ont perdus au cours de l’évolution, les ballots! D’autres ont accumulé aux cours des générations des modifications conséquentes pour pervertir le but initial qui était, je vous le rappelle, de déambuler sur la terre ferme. Non mais regardez moi le foutoir que m’a mis l’évolution dans le membre chiridien du dauphin! Et vas-y que je t’aplatis les os du zeugopode, que je te raccourcisse bien le tout, et que je te rajoute tout plein de petits os dans l’autopode… Elle croit quoi l’évolution? Que le dauphin va pouvoir marcher maintenant? A ce compte là, il aura mieux fait de vivre dans la flotte et de se servir de son membre chiridien comme d’une pagaie! Ah, on me communique dans mon oreillette que c’est exactement ce que fait le dauphin… et tous les cétacés d’ailleurs… chez eux, le membre chiridien antérieur forme ce qu’on appelle une palette natatoire: ils s’en servent pour nager, puisqu’ils sont inféodés au milieu aquatique. Et ça le fait marrer en plus…
Quel drôle de parcours évolutif quand même: les premiers ancêtre qui ont contribué à la lignée des tétrapodes étaient adaptés à une vie semi terrestre, ils ont commencé à coloniser la terre ferme et le membre chiridien constituait une innovation évolutive qui a été sélectionnée car elle leur conférait un avantage adaptatif à la vie hors de l’eau. Tout ça pour quoi? Pour qu’au final une lignée entière de Tétrapodes retourne vivre dans l’eau et accumule des modifications des membres antérieurs leur conférant des avantages sélectifs pour nager… Les plus proches cousins des cétacés, les hippopotames, portent d’ailleurs de nombreuses traces de ce parcours évolutif, étant eux-même presque amphibies.
Avec un tel dédale d’adaptations, ça ne doit pas être courant comme histoire évolutive, non? Et c’est là que j’interviens pour vous détromper!
Le Membre Chiridien Palette Natatoire
Le Membre Chiridien Palette Natatoire (MCPN), c’est en fait un caractère qu’on retrouve souvent dans la lignée des tétrapodes! Rien que dans la vitrine, on en voit deux: les palettes natatoires du dauphin et du manchot!
Ces deux animaux utilisent donc leurs membres antérieurs pour exactement la même fonction : nager, et c’est pour ça qu’on les appelle des palettes natatoires. Et pourtant, si on les dépiaute, hormis la structure typique stylopode/zeugopode/autopode, c’est tout de même assez différent:
Pas étonnant à vrai dire! Le dernier ancêtre commun d’un manchot et d’un dauphin n’avait pas de palette natatoire mais des pattes adaptées à la marche sur la terre ferme. Les palettes natatoires de ces animaux sont donc une convergence évolutive, une ressemblance issue de deux évènements indépendants au cours de l’évolution de chacune de ces deux espèces !
Le manchot, qui plus est, est un oiseau, groupe caractérisé quand même par la présence d’ailes! Du coup l’histoire évolutive du manchot est un sacré labyrinthe! D’abord un membre chiridien pour marcher, puis pour voler et enfin pour nager… D’ailleurs sa nage ressemble assez à un vol aquatique! (Allez chez Vran pour en savoir plus)
Le plus fou avec cette convergence évolutive là (patte à marcher –> patte à nager), c’est qu’elle a eu lieu non seulement entre manchot et cétacé, mais avec aussi une myriade d’autres tétrapodes! Par exemple on avait déjà vu sur SSAFT les Membre Chiridien Palette Natatoire (MCPN) de siréniens (lamantins, dugong):
Et si vous pensez que ces MCPN sont homologues à ceux des dauphins, détrompez-vous! La lignée des siréniens est différente de celle des cétacés (leurs lignées se sont séparées il y a 100 millions d’années) et les plus proches cousins des siréniens sont les éléphants!
D’ailleurs si on observe attentivement les palettes natatoires des lamantins, on peut retrouver des structures qui évoquent sa parenté avec les éléphants:
Avec les cétacés et les siréniens, il y a un troisième groupe de mammifères particulièrement bien adaptés à la vie aquatique: celui des pinnipèdes (otaries, morses et phoques). Je prends pour exemple le morse parce que d’une part il a une bonne bouille:
Et d’autre part, ça me donne une excuse pour placer cette vidéo:
Mais bon, tout ça pour dire qu’encore une fois, le MCPN n’est pas une exclusivité des dauphins.
Et encore une fois, en y regardant de plus près, on peut trouver des indices qui permettent de découvrir la parenté de notre animal:
Vous voyez ces griffes? Et bien ce sont des griffes typiques de carnivores, la lignée à laquelle appartiennent tous les pinnipèdes.
On l’a vu, les mammifères n’ont pas l’exclusivité du MCPN puisque le manchot en possèdent. Mais il y avait un exemple de tétrapodes aquatique peut être plus évident:
Et oui, les tortues sont aussi des tétrapodes et nombreuses sont celles qui sont adaptées à la vie aquatique! Et niveau MCPN, c’est encore différent:
Et puis si on est pervers, on peut aussi déterrer quelques fossiles de tétrapodes ayant acquis indépendamment des MCPN. C’est par exemple le cas des Ichtyosaures, ces fantastiques Sauropsidés qui ressemblent à s’y méprendre à des dauphins ou des poissons:
Niveau paluches, encore une fois, l’évolution nous a bricolé un truc de manière tout à fait indépendante de ce qu’elle a réalisé pour les MCPN plus haut.
On citera aussi vite fait les exemples de Plésiosaures:
Toutes ressemblances avec un certain monstre du Loch Ness est fortuite
Et enfin les Mosasaures:
Attention aux confusions cependant: Ichtyosaures, Plésiosaures et Mosasaures ne sont pas des dinosaures! Les Ichtyosaures sont difficiles à placer dans l’arbre phylogénétique des Sauropsidés mais ils formeraient un groupe frère de tous les diapsides (crocodiles, dinosaures, oiseaux, lézards). Les Plésiosaures et Mosasaures seraient quant à eux plus proches des lézards que des dinosaures.
Une chose est sure cependant: ces trois lignées éteintes de tétrapodes ont acquises, indépendamment au cours de l’évolution, des palettes natatoires dérivées d’une modification de leur membre chiridien. Que de convergences!
Mais fini de barboter, nous allons prendre maintenant un peu de hauteur et voir si l’on peut trouver des convergences évolutives quand les tétrapodes prennent vol.
Le Membre Chiridien Aile
Bon quand on appelle les tétrapodes volants, la moindre chose qu’on puisse dire, c’est que ça ne se bouscule au portillon. Il faut dire, conquérir le milieu aérien est une entreprise un brin plus ardue que la conquête de la mer… Avec toute l’ingéniosité des humains, il a fallu quand même quelques siècles pour qu’on puisse foutre le souk à hautes altitudes, alors imaginez un peu avec un processus aveugle comme l’évolution!
Bon, l’exemple de tétrapode volant par excellence, c’est quand même l’oiseau et l’on va prendre comme exemple l’huitrier-pie puisqu’on a décortiqué son bras dans la vitrine:
Remarquez comme ce membre chiridien, bien que reconnaissable de par son plan d’organisation, est tout de même rudement différent de celui d’une martre, d’un humain ou d’un dauphin! Les os y sont beaucoup plus fins et la plupart des doigts ont disparu! Et pour vous prouver la fonction de cette aile, voici un huitrier pie en plein vol:
C’est sûr qu’en garnissant le tout de plumes, ça parait tout de suite bien plus efficace…
Mais les oiseaux ne sont pas les seuls à avoir conquis les airs! Il y a également les chauve-souris:
La convergence évolutive est frappante quand on étudie de plus près la structure de leurs ailes:
Et oui, chez les oiseaux, les doigts étaient tout ratatinés et il en manquait plein alors que chez les chauve-souris, les os de la main se trouvent hyper allongés! C’est d’ailleurs pour ça que la lignée des chauve-souris se nomme les Chiroptères: on retrouve notre préfixe cheir qui veut dire la main et pteron, l’aile. Les chiroptères, ce sont des tétrapodes qui volent avec leurs mains essentiellement (quelle classe!). Ici encore, on n’a aucun mal à imaginer que l’émergence des ailes de chauve-souris est issue d’une histoire évolutive totalement indépendante de celle des oiseaux.
Et pour les ailes aussi, on peut s’amuser à déterrer des fossiles (youpi!). Les seuls autres tétrapodes volants qu’on a découvert, ce sont les impressionnant Ptérosaures! (et pour l’occasion je vous ressors un dessin de Vran!)
Alors encore une fois, faites gaffe! Les ptérosaures ne sont pas des dinosaures! Les seuls dinosaures volants qu’on connait, ils sont encore parmi nous: ce sont les oiseaux! D’ailleurs si on regarde attentivement les os des ailes de Ptérosaures, on voit bien les différences avec les oiseaux:
Contrairement aux oiseaux dont l’aile est portée par deux doigts, et les chiroptères dont l’aile est constituée de 4 doigts, les ailes de ptérosaures sont portées par un unique doigt, complètement démesuré! Pour s’imaginer le vol d’un ptérosaure, représentez vous dans les airs en train d’agiter frénétiquement vos annulaires…
On peut résumer les convergences évolutives des ailes de tétrapodes avec ce schéma:
Pour conclure: Homologie et Convergence Evolutive du Membre Chiridien
Toutes les paluches qu’on a ressassées depuis le début de l’article sont des membres chiridiens: un caractère homologue hérité d’un ancêtre commun sur lequel on reconnait le plus souvent un plan d’organisation conservé (stylo/zeugo/autopode). A l’origine, cette configuration offrait une adaptation à la marche sur la terre ferme. Est-ce que ça veut dire que les descendants vont conserver cette fonction? Non! La moindre petite variation des structures des os du membre chiridien peu ouvrir un océan de possibilités d’adaptations! Et pour une fonction (nager/voler), il n’y a pas qu’une seule solution! Par exemple, pour qu’un tétrapode puisse se mettre à voler, il peut allonger 4, 2 ou uniquement 1 de ses doigts. En tant que telle, l’aile des oiseaux, des chiroptères et des ptérosaures est issue d’une convergence évolutive: leur dernier ancêtre commun n’avait pas d’ailes et chaque lignée les ont acquises de manière indépendantes. Ces ailes nous ouvrent les yeux sur le champs des possibles que l’évolution peut explorer à partir d’accumulation de modifications d’une structure comme le membre chiridien.
Et rappelez vous qu’aucun de nos organes n’a de fonctions gravées dans le marbre… Les tétrapodes ont une myriade d’autres structures sur lesquelles l’évolution pourrait jouer…