Rachel Joyce qui vit en Angleterre a été durant plus de vingt ans scénariste et comédienne avant d’écrire ce premier roman qui vient de paraître. Je ne sais pas si La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry arriva le mardi… est le titre de roman le plus long de l’histoire de la littérature mais en tout cas il y entre par la grande porte, celle du talent.
Harold Fry reçoit une lettre bouleversante de Queenie Hennessy, une ancienne collègue de bureau, lui apprenant qu’elle est en phase terminale d’un cancer. Pendant que sa femme vaque au ménage, Harold écrit aussitôt un petit mot de réconfort et sort pour poster son courrier. Il ne reviendra pas chez lui, poussé par un élan irrésistible autant qu’irréfléchi, il part à pied rejoindre Queenie, du Sud de l’Angleterre à la frontière Ecossaise, 87 jours de marche pour 1000 kilomètres de distance, persuadé qu’elle aura la force de rester en vie jusqu’à son arrivée.
Pourtant Harold est loin d’être un aventurier, âgé de 65 ans et à la retraite aujourd’hui, il était casanier, menant une vie insipide. Un employé effacé voire inexistant. Sa vie de couple avec Maureen n’est plus qu’une histoire ancienne, après 47 ans de mariage ils ne se parlent plus et leur fils David ne vient plus les voir. Comment un personnage aussi falot peut-il se lancer dans une telle entreprise aussi contradictoire avec son caractère et la manière dont il a toujours vécu, c’est ce que Rachel Joyce réussit à nous faire comprendre et accepter.
Ce long voyage sera une catharsis non seulement pour Harold mais aussi pour Maureen. La marche est un exercice physique qui tend à libérer l’esprit et Harold va en faire l’expérience. Les souvenirs vont remonter des zones sombres de son esprit où ils étaient enfouis et oubliés. Chaque page va nous révéler un petit bout de la vie du modeste héros, chaque chapitre nous en dit un peu plus sur un passé qui s’avère plus troublant au fil de la lecture.
De son côté Maureen, abasourdie par la décision d’Harold et se retrouvant seule à la maison, prend conscience de ce qu’était devenue leur vie et elle aussi, à coup de souvenirs et de remords va tenter de recoller les morceaux du puzzle d’une vie où ils vécurent heureux jadis. Un couple en lambeaux, deux êtres qui n’ont même plus les mots pour se comprendre.
Tout est absolument remarquable dans cet ouvrage, chaque page est un plaisir de lecture car Harold durant son pèlerinage expiatoire va rencontrer des gens qui tous ont une histoire ordinaire mais émouvante ou bien un geste amical pour ce pauvre vieux vagabond. La construction du roman est magnifiquement aboutie, au fur et à mesure que l’on avance aux côtés d’Harold, parfois les larmes aux yeux, c’est son passé qu’on voit se reconstruire et l’épilogue nous livre la fresque dans sa totalité pour révéler la vérité totale sur Harold et Maureen et Queenie.
Je pense que vous avez compris qu’il s’agit d’un superbe roman fait de gens ordinaires, d’amour et de mort, une leçon de vie magistrale qui fera un merveilleux film dans la veine de celui de David Lynch, Une Histoire vraie (1999) où un vieil homme de 73 ans en mauvaise santé se lançait dans une expédition à travers les Etats-Unis sur sa tondeuse autoportée pour retrouver son frère qui venait d’avoir eu une attaque.
« - Pour quelle raison Queenie a-t-elle disparu ? – Je l’ignore. Des bruits ont couru. Mais c’était une période difficile pour Harold et moi. Il ne m’a jamais rien dit et je n’ai rien demandé. Nous sommes ainsi, Rex. Aujourd’hui, tout le monde déballe ses secrets les plus intimes. Quand je lis les magazines people chez le médecin, j’en ai le vertige. Mais pour nous, c’était différent. Une fois, nous nous sommes dit beaucoup de choses. Des choses que nous n’aurions pas dû dire. Au sujet de la disparition de Queenie, je n’avais pas envie de savoir. »
Rachel Joyce La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry arriva le mardi… Editions XO