Les deux derniers épisodes de la saison 2 de Game Of Thrones ont donné tort à mes prévisions : la série a enregistré les meilleures audiences de son histoire, avec un pic à plus de 4 millions de téléspectateurs lors du finale Valar Morghulis. Fort de ce succès, HBO a mis les petits plats dans les grands, à tel point que le panel GOT qui représentera la série au gigantesque festival ComiCon 2012 s’est vu offrir le Hall H, d’ordinaire réservé aux blockbusters hollywoodiens.
« Blackwater », le neuvième épisode, était considéré par Benioff, Weiss et Martin comme un vrai test pour la série. Dans A Clash Of Kings, le deuxième tome de la série de livres dont la saison 2 tire son scénario, la bataille de Blackwater Bay oppose la flotte de Stannis Baratheon à l’armée des Lannister, qui tient pour l’instant les rênes du royaume. Un conflit nocturne de très grande envergure, souvent comparé à celui du gouffre de Helm du Seigneur des Anneaux. Weiss et Benioff, qui avaient dû purement et simplement supprimer des scènes de bataille dans la saison 1 par manque de budget, ont fait des pieds et des mains auprès d’HBO pour obtenir les crédits suffisants. Dans une interview récente, Weiss est d’ailleurs revenu sur la comparaison avec Helm :
A chaque fois que vous lisez les mémoires de guerre d’un soldat, de la Rome antique au Vietnam et après, ce n’est jamais « Et là, telle faction s’est avancé à tel endroit ». C’est toujours « Je ne savais pas où j’allais la moitié du temps, ou même si je n’étais pas en train de tirer dans mon camp ». C’est cette expérience de confusion de la guerre qu’il est possible de recréer dans une série sans avoir à montrer une gigantesque bataille comme celle du Gouffre de Helm.
La bataille de Blackwater Bay, version HBO
Les deux scénaristes montrent que la popularité de la série peut être attribuée bien plus à son traitement du concept d’adaptation qu’à une campagne marketing qui, si elle répond désormais aux besoins contemporains (guide en ligne de la série sur le site d’HBO, présence massive sur les réseaux sociaux, parrainage de tumblr de fanarts, développement de jeux vidéos sur Facebook…), ne s’éloigne pas des sentiers battus.
Pour bien illustrer l’adaptation selon Weiss & Benioff, le plus utile est de prendre mon cas comme exemple. Comme je l’ai dit dans mon précédent article sur le sujet, j’ai commencé à lire les cinq livres publiés en anglais après avoir vu les premiers épisodes de la saison 1. Au moment où la saison 2 a été diffusée, c’est-à-dire en avril 2012, j’avais relu plusieurs fois tous les livres. Je pense que personne ne niera que ces relectures sont nécessaires. Elles sont indispensables pour saisir les subtilités de la narration de Martin, qui force le lecteur à des allers-retours entre la grande histoire de Westeros (batailles, géopolitique, intrigues) et la petite (la profusion de personnages, acteurs et spectateurs plus ou moins importants). Du coup, ma situation se rapprochait de celle des lecteurs originels de l’oeuvre de Martin, qui l’ont découverte avec A Game Of Thrones en 1996. Face aux premiers épisodes de la saison 2, je décortiquais par réflexe chaque scène comme lecteur plus que comme spectateur, ce qui créait parfois quelques brèves incompréhensions lorsque Weiss & Benioff altéraient certains passages de l’histoire.
Si je prends le temps de parler de mon cas, c’est parce qu’il me semble refléter l’appréciation générale de la série d’HBO par le public connaisseur de Martin. Le graphique ci-dessous, extrait du New York Times, montre l’explosion des ventes de la saga (et surtout des deux premiers tomes, directement liés à l’avancement actuel de la série) qui a suivi la diffusion du premier épisode de Game Of Thrones.
Ce coup de boost de grande ampleur montre que, contrairement à ce que Martin peut dire, il n’a pas deux audiences (une pour les livres et une pour la série tv). Une troisième s’est rajoutée, dont je fais partie, qui alterne entre les deux, et peut apprécier les apports de Benioff & Weiss sans se sentir « trahie », parce que ses attaches aux romans sont plus récentes.
Ainsi, cette scène, qui met aux prises Tywin Lannister et Jaime, son fils aîné, fait partie des nombreux moments ajoutés par le duo de scénaristes. Alors que Martin a défini le stratège et seigneur Tywin comme un personnage secondaire, le dialogue entre les deux personnages permet d’apporter un flot d’informations aux téléspectateurs sur le père de Jaime, Cersei et Tyrion en une seule scène. Le résultat final est très bien exécuté par l’acteur Charles Dance, aussi à l’aise au théâtre qu’à la télévision :
Ta mère est morte. Bientôt, je serai mort, et toi, ton frère, ta sœur, et tous ses enfants le seront aussi, nous pourrirons tous sous terre. C’est notre nom qui survit, c’est tout ce qui survit. Pas ta gloire, pas ton honneur, ta famille, tu comprends ? (…) Tu es doué de capacités que peu d’hommes possèdent. Tu as la chance d’appartenir à la famille la plus puissante du royaume, et tu as la chance d’être encore jeune. Qu’as tu fait de ces dons ? Tu as servi de garde du corps pour deux rois, l’un fou, l’autre ivrogne. (…) J’ai besoin que tu deviennes l’homme que tu dois devenir. Pas l’an prochain, pas demain. Maintenant.
En deux minutes, le téléspectateur comprend les principales caractéristiques de Tywin : sans concession, froid, obsédé par le devoir et l’honneur de sa famille. Par extension, Jaime apparaît sous un nouveau jour. Présenté dans les premiers épisodes de la saison 1 comme un combattant hors-pair mais extrêmement arrogant et comme l’amant incestueux et irresponsable de sa soeur Cersei, on découvre le poids colossal de son père sur ses actes, et le dégoût que lui inspire l’exercice du pouvoir. Jaime est avant tout fait pour la guerre, et ne sert pas à grand chose hors des champs de bataille. Le talent de Benioff & Weiss réside dans ce genre de scènes, qui compressent cinq cent pages de développement d’un personnage sans noyer le spectateur sous les informations.
Tywin et Jaime Lannister (saison 1, épisode 7, « You Win Or You Die »)
Malgré le défaut notoire de la série, la « sexposition« , qui est la triste marque de fabrique d’HBO, il est difficile de ne pas apprécier le soin pris par Weiss & Benioff à respecter le plus possible le travail de Martin, qui leur sert à la fois de baromètre, de consultant et parfois même de scénariste (c’est lui qui a écrit le script de « Blackwater »). On ne peut qu’espérer le maintien d’une telle qualité pour la saison 3. Quant à The Winds Of Winter, le prochain tome déjà commencé par le romancier, la vidéo qui suit résumera bien mieux que moi les attentes de ses publics :