Les fameux critères, définis il y a 20 ans pour se qualifier pour l'€uro, étaient au nombre de 3 : un déficit public inférieur à 3% du PIB, une dette publique inférieure à 60% du PIB, et une inflation inférieure à 2%.
Depuis la création de l'€uro, le niveau de l'inflation, sous la responsabilité de la BCE indépendante, est restée sous les 2%, tandis que les dettes publiques et les déficits, sous la responsabilité des Etats, ont allègrement dépassé les limites permises. La barre des 3%, normalement un maximum, est maintenant pour la France un objectif difficile à atteindre.
Pour quelles raisons les Etats n'ont-ils pas respecté les limites fixées par eux-mêmes ? Si l'on veut comprendre le fonctionnement de l'économie en un seul mot, c'est : INCENTIVE, l'incitation.
Posons-nous donc la question : quelles étaient les incitations des Etats pour respecter ces critères, et a contrario, quelles étaient les incitations pour ne pas les respecter ?
Pour se motiver à respecter des règles fixées par eux-mêmes, les Etats ont prévu de s'auto-punir en cas d'infraction, la punition étant une amende fixée selon un montant supposé dissuasif. Le système est pervers et schizophrénique : si on applique la sanction, on renforce la faute que l'on est censé corriger ! Par ailleurs, imagine-t-on le gouvernement d'un pays voter des sanctions qui vont exacerber ses difficultés économiques, financières et fiscales ? Ce serait un suicide politique. Troisième point, du fait de la corrélation des économies européennes, il y a une forte probabilité que plusieurs pays soient en faute ensemble. Dans ces conditions, on comprend qu'il est peu probable que les pays décident ensemble de se punir.
Les incitations mises en place, non seulement limitent le risque de la punition pour un seul fautif, mais en plus incitent tous les participants à fauter ensemble, ce qui réduit encore plus la probabilité de la punition. La règle mise en place avec l'€uro favorise son non-respect : bel exemple d'une incitation perverse !
De plus, la convergence des économies favorisées par la mise en place de l'€uro entraine le phénomène du passager clandestin : certains profitent du système (transferts financiers, taux d'intérêt bas), sans en payer le prix en terme de bonne gouvernance.
Alors que s'approche la saison des prix Nobel, j'ai relu ce qu'écrivait le Professeur AUMANN, Prix Nobel d'économie en 2005 pour ses travaux sur la théorie des jeux, et en particulier des jeux répétitifs. La répétition peut créer la coopération, sous certaines conditions. En particulier, il faut que la punition en cas de comportement non coopératif soit crédible, et en deuxième lieu que le taux d'actualisation implicite ne soit pas trop élevé, auquel cas les participants ont une forte préférence pour le cours terme qui ne les incitent pas à se montrer coopératifs à long terme. Vous trouverez ici la vidéo de sa leçon du 08-12-2005 à l'occasion du Prix Nobel, et ici le résumé de sa présentation (en anglais également); le thème en est l'application de la théorie des jeux à la compréhension de la guerre et de la paix.
Comment donc faire pour corriger les incitations, de façon à ce que les pays participant à l'€uro respectent leurs propres règles ? Il faut d'une part que la coopération des autres soit certaine si un pays se montre coopératif (= respecte les règles de gouvernance financière), et d'autre part que la sanction soit automatique et suffisamment dissuasive.
Cela nous amène à la solution imaginée par Super Mario, à la tête de la BCE, pour trouver une solution afin de guérir l'€uro : OMT, Outright Monetary Transactions, telle qu'annoncée le 6 septembre. Sous réserve qu'un pays en difficulté s'engage à respecter les règles = le programme d'ajustement et de gouvernance (FESF/MES), alors la BCE s'engage à acheter de façon illimitée les titres de dette publique du pays, lui assurant ainsi son financement, et à un coût acceptable. En cas de non respect des règles, la BCE décide, à sa discrétion, l'arrêt de l'achat de la dette, ce qui fait remonter le coût de financement, voir le rend impossible.
Le terme essentiel est bien entendu celui de conditionnalité. C'est le caractère automatique et crédible de la sanction qui va inciter au respect de la règle. La théorie des jeux rationalise bien la situation.
Pour plus de réflexion sur OMT, lisez cette analyse de Christopher MAHONEY.
Dans la pratique, la communication de la BCE va être essentielle. Si le pays, disons l'Espagne, coopère, alors la BCE achète,et les marchés achètent aussi : Olé !
Si le pays est moins coopératif, moins respectueux du programme, les marchés vont commencer à jouer sur l'attitude de la BCE : va-t-elle menacer publiquement, va-t-elle arrêter d'acheter sans le dire, va-t-elle arrêter d'acheter en le disant mais sans menacer au préalable ? Qui sait ? Les marchés pourront alors tester l'adhésion de la BCE à ses règles.
Pour le moment, Mariano RAJOY joue le passager clandestin : il profite des bienfaits de l'OMT futur, grâce à la baisse des coûts de financement, sans en supporter les conditions. Mais cela ne pourra pas durer bien longtemps.
Pendant ce temps en France, on discute sur le vote de la règle d'or, fruit de l'imagination de notre cousine Angela : votons une règle stricte, et elle sera respectée. De tout ce qui précède, chacun aura compris la futilité de cet exercice : que la règle d'or soit inscrite dans la constitution, soit une loi organique ou un autre instrument légal ne change rien. Elle ne sera respectée que si les incitations vont dans le bon sens. Un peu de patience : avec la trajectoire actuelle, c'est la France qui, après l'Espagne, devra jouer OMT.