On le sent, ça renâcle, ça
rechigne, ça traîne des pieds. On tourne autour du pot. On paie des armées d’assistants parlementaires et de collaborateurs de cabinet pour trouver des excuses toutes plus tirées par les cheveux.
Pour les uns c’est trop tôt, pour les autres c’est trop tard, pour beaucoup, on le sait déjà, ce ne sera jamais le moment. On invente des prétextes prêt-à-porter, on extirpe des exceptions faites
maison, on brandit des préalables indispensables. C’est souvent grotesque, parfois pathétique, toujours regrettable. Au pire, pour éviter de se retrouver dans la posture du garnement qui n’a pas
rendu la monnaie qui restait de l’achat de la baguette, certains jouent la virulence, l’indignation, la colère. Alors que le silence gêné est à peu près la seule attitude permettant de ne
pas trop perdre la face, il faut hélas remarquer que la violence de la réaction du cumulard est souvent proportionnelle à l’abus de cumul des mandats et donc au taux de mauvaise
foi.
Alors bien sûr, on pourra regretter que l’on se prive ainsi d’une bonne occasion de pousser la droite dans ses retranchements, elle qui, sur cette question est autant décomplexée que sans
scrupule.
D’accord, on pourra soupirer sur le coup d’arrêt mis au renouvellement générationnel (qui n’est, il faut le concéder pas une vertu en soi, mais donne une respiration nécessaire).
Certes, on pourra déplorer le non-respect du vote pourtant massif des militants du parti socialiste.
Mais l’essentiel n’est pas là. Et même s’il y aura toujours d’autres questions plus prioritaires dans les préoccupations des Françaises et des Français (l’emploi, les inégalités…) et des sujets
plus graves (la guerre en Syrie) à traiter pour le gouvernement et le parlement, le non-cumul des mandats ne peut pas être relégué au second plan.
En effet, après des années de gavage indécent de pouvoir et de richesses des amis proches du Nicolas Sarkozy, l’abstention massive et les scores montants de l’extrême-droite sonnent comme
autant d’avertissements pour l’ensemble des responsables politiques. Sur fond de renoncement à combattre les ravages de la finance (pour ne pas dire de complicité de la droite avec l’oligarchie),
combien de fois avons-nous entendu sur le terrain le lancinant et déjà trop fréquent questionnement sur nos institutions de type « A quoi ça sert encore d’aller voter? » se transformer en un
catégorique « de toute façon on vote pour des gens qui ne sont tous là que pour se servir »…
Sur le plan des apparences, il y a malheureusement une tragique cohérence à faire le lien entre le renoncement du politique à changer la vie, tout particulièrement des plus modestes, et un doute
profond sur les motivations réelles des candidats aux élections. Ne pas avoir conscience de cet insupportable soupçon permanent sur l’action des élus, faire comme si ce contexte pesant partout en
Europe n’était qu’une mode passagère, c’est donner des arguments à celles et ceux qui en font leur fond de commerce politique.
Ne nous trompons pas: la gauche a battu la droite, mais elle ne l’a pas emporté dans la bataille culturelle et encore moins conquis durablement le peuple, loin s’en faut. Dans ce combat, face aux
connivences de la droite avec les puissants pour qui seuls elle a gouverné, et après 5 ans de promesses non tenues, le vote pour François Hollande a paru comme un moyen de retrouver un peu de
prise sur l’action des élus et sur le cours des choses. S’il y a pu avoir un sursaut en notre faveur, il n’y pas eu de chèque en blanc, et sans aucun doute, le climat de méfiance demeure.
C’est certain, toutes les mesures que la gauche prendra et qui amélioreront le quotidien et l’avenir du plus grand nombre serviront à retisser cet indispensable lien de confiance entre le peuple
et ses élus. L’une des condition est que ces mesures soient correctement défendues, d’ampleur suffisantes et surtout portées par toutes celles et ceux qui peuvent donner du sens à l’action
politique, celui du progrès. Le volontarisme de la gauche ne sera efficace que s’il vaut pour celles et ceux qui ne s’y retrouvent plus actuellement.
Mais, pour toutes celles et ceux qui décrochent depuis trop longtemps des débats politiques par ce qu’ils ont la sensation qu’on gouverne en leur nom mais pas pour le peuple, la gauche peut
afficher un symbole fort, une rupture morale et politique, une éclatante démonstration par la preuve que celles et ceux qui dirigent le pays privilégient définitivement l’intérêt général à
leurs intérêts personnels: le renoncement au cumul des mandats.
Ne nous trompons pas: au delà de l’amélioration de la qualité du travail de nos élus et en attendant la nécessaire respiration démocratique dont nos institutions locales, nationales et
européennes ont tant besoin, le non-cumul des mandats représente une mesure essentielle d‘apaisement et de sérénité du climat démocratique, une étape incontournable de la reconquête de
crédibilité de la parole publique, un pilier ferme à l’édifice républicain qui redonnera un sens plein et entier à l’acte citoyen de voter
Source : Antoine Détourné