Magazine Cinéma
J’ai eu une drôle d’impression en sortant de Savages. J’étais le premier surpris à avoir autant envie de voir le nouveau film d’Oliver Stone - la faute certainement à ce goût amer laissé par « World Trade Center » il y a quelques années et qui persiste inlassablement – pourtant j’y étais le lendemain de sa sortie. Cette impression, qui m’a pris au débotté et nécessiterait certainement que je me penche sur les films vus ces dernières années pour être tout à fait sérieux, c’est que contre toute attente, ça faisait un bail que je n’avais pas vu un tel film venu d’Hollywood. Comprenez un film d’action qui ressemble aux films d’action que l’on faisait à Hollywood il y a quelques années encore mais plus vraiment aujourd’hui, burné, sanglant et sensuel, sans collants ni masques sinon ceux de truands se cachant à peine derrière leur sauvagerie.
Le film n’est pas exempt de défauts, loin de là, j’y viendrai plus loin, mais il y a quelque chose d’étrangement old school dans Savages qui fait un bien fou. C’est pêchu, c’est mordant, c’est bourré d’action et d’intrigues où le bruit et les couleurs ne parasitent pas ce mélange paradoxal d’insouciance et de sérieux rafraîchissants à l’heure du super héros roi. La sauvagerie, la tension et la sueur dispensées à l’écran ont d’ailleurs quelque peu déteint sur les spectateurs de la salle dans laquelle j’ai vu le film. J’ai repensé à cette étude de Claude Forest sur le placement des spectateurs dans la salle, et particulièrement à sa théorie du dominant (ceux qui aiment se mettre au fond dans la salle aiment le sentiment de dominer les autres spectateurs) quand j’ai entendu quelques mecs vers le fond se gueuler dessus un rang au-dessus de l’autre et être à deux doigts d’en venir aux mains. Peut-être le chercheur n’avait-il pas tout à fait tort sur la question, même si les râles des autres spectateurs alentour ont fini par éteindre le feu alors que l’un des excités proposait à un autre de sortir de la salle pour régler ça (quand même oui…). En fin de compte, ils en rediscuteront avec un étonnant calme en fin de séance… A croire que la sauvagerie déployée à l’écran les aura calmés, ou qu’ils auront finalement retrouvé leur sang-froid seuls (que s’était-il passé à l’origine de leur dispute, je n’en sais rien…).
Mais ce n’est pas tant de la sauvagerie que découle le plaisir procuré par Savages. C’est des dialogues écrits aux petits soins. C’est peut-être surtout de la direction d’acteurs qui laisse au premier abord soucieux avant d’emporter l’adhésion. Soucieux, parce que les acteurs en font des tonnes, ou presque. Ils s’amusent, c’est évident, mais il y a quelque chose de presque ridicule dans cette effusion de jeu, une effusion qui est renforcée par un jeu d’observation des physiques, John Travolta pour une fois sans moumoute, Salma Hayek qui en porte une sexy, quant à Benicio Del Toro le verdict n’est pas encore tranché pour savoir si ce panache de cheveux est naturel ou non (mais bon, ça l’est sûrement).
Mais une fois les premiers doutes passés, assimilés, quelque chose d’enthousiasmant se dégage du trio Hayek / Del Toro / Travolta. L’acteur oscarisé de Traffic, en particulier, fait un numéro qui ressemble à de l’équilibrisme. Il est toujours à deux doigts du ridicule en homme de main de la pègre mexicaine mais n’y bascule jamais, prouvant au passage que la ligne entre pathétique et excellence est diablement fine. Benicio Del Toro est simplement jubilatoire, illuminant d’intensité et d’absurde chacune des séquences où il apparaît, et l’on se demande bien ce qu’il était devenu ces dernières années. Il s’était fait trop rare, assurément. Salma Hayek et John Travolta en font à peine moins et se montrent également rayonnants, la mexicaine en chef mafieuse incroyablement sensuelle et l’américain en agent du FBI véreux. Il faut la voir, engueulant ses troupes et leur lâcher du « Pendejo ! » intempestif.
Du coup, le trio de « jeunes vedettes qui montent » Blake Lively / Taylor Kitsch / Aaron Johnson se fait purement voler la vedette par les briscards. Et si Johnson et Kitsch s’en sortent malgré tout plutôt bien, affichant de la présence à l’écran, Blake Lively est clairement le maillon faible de la bande, allez, du film. La caméra d’Oliver Stone a beau filmer (trop chastement) le corps de la jeune actrice de « Gossip Girl » avec désir, elle semble bien fade quand elle partage l’écran avec ses camarades, encore plus lorsque c’est avec l’exquise Salma Hayek. Elle a en plus le malheur d’être le vecteur du récit en lui offrant une voix-off clairement faiblarde et gênante, qui atteint son paroxysme d’inefficacité lors d’un final qui frise l’ineptie. Stone nous offre une double conclusion qui met son film le cul entre deux chaises et laisse un goût amer d’inachevé. Un comble pour un spectacle qui aura su être jusqu’ici vivant, pulsant un amusement communicatif, bien que semblant étrangement vain et trop gentil malgré le sang. Mais Savages a de la gueule, et un rythme emballant. Et en semaine en sortant du boulot, ça fait un bien fou.