Jusque-là très en retrait, l’Algérie s’est impliquée dans la crise malienne en organisant secrètement sur son sol, samedi, une rencontre entre des islamistes d’Ansar Dine et un officiel de Bamako, confirme une source contactée par FRANCE 24.
Tout plutôt qu’une intervention militaire occidentale. C’est en substance la ligne tenue par Alger depuis le début de la crise malienne. Pour trouver une issue au conflit opposant les groupes islamistes armés (qui occupent le nord du Mali depuis six mois) aux autorités de Bamako (qui réclament ardemment une intervention militaire occidentale), l’Algérie a officieusement organisé une rencontre entre des représentants du mouvement musulman extrémiste Ansar Dine et un « haut gradé » de Bamako.
C’est du moins ce qu’a déclaré, samedi 29 septembre, une « source officielle malienne » à l’AFP. « Des représentants du mouvement islamiste Ansar Dine et un officiel malien se sont très récemment rencontrés à Alger pour évoquer la situation dans le nord du Mali », a-t-elle confié à l’agence de presse. Une information confirmée par une source proche du dossier contactée par FRANCE 24 : « La rencontre a eu lieu samedi [29 septembre]. Et parmi eux, il y avait le chef d’Ansar Dine, le Touareg Iyad Ag Ghali ».
Une rencontre qui « n’a rien de surprenant »
Selon Kader Abderrahim, spécialiste de l’Algérie à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), cette rencontre officieuse « n’a rien de surprenant ». Alger a toujours affirmé qu’il fallait privilégier les négociations pour régler le conflit malien et s’est toujours opposé à l’envoi d’une force militaire internationale réclamée par Bamako. « Alger ne peut se résoudre à une telle intervention dans un pays qu’elle considère comme son arrière-cour, explique Kader Abderrahim. Il n’a aucune envie de voir des bases militaires étrangères s’installer à ses frontières. Or, il voit que cette option militaire peut rapidement devenir une réalité. Alors Alger explore d’autres alternatives. »
Il est vrai que le 29 septembre, dans un entretien au quotidien français « Le Monde », le Premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, avait clairement pressé Paris d’intervenir militairement dans le nord du Mali pour déloger les islamistes. « Il faudra que la France fasse le premier pas », avait-il alors déclaré.
« Alger s’est posé le choix de ses interlocuteurs »
Alger est, en outre, dans une position diplomatique délicate depuis l’enlèvement par des islamistes de plusieurs de ses diplomates, le 5 avril, à Gao, dans le nord du Mali. « L’Algérie est restée discrète jusqu’à présent, parce qu’elle tient à récupérer sains et saufs ses représentants retenus en otages », explique Kader Adberrahim. Une discrétion et une main tendue d’Alger vers les islamistes d’autant plus compréhensibles que le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), proche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), avait annoncé, début septembre, l’exécution de l’un des otages algériens, Tahar Touati.
Alger serait donc prêt à engager des négociations avec un groupe islamiste armé ? « Le pays s’est posé le choix de ses interlocuteurs comme le font les États confrontés à une crise. Ce ne serait pas la première fois qu’un pays traite en secret avec des terroristes pour arriver à un accord », rappelle le spécialiste de l’Iris.
« Ansar Dine n’est pas un mouvement terroriste, mais un mouvement rebelle »
La position algérienne n’étonne pas non plus Mathieu Guidère, spécialiste de l’islam radical. Depuis les années 1990, rappelle-t-il, les liens entre l’Algérie et les mouvements touaregs, dont Iyad Ag Ghali est issu, ont toujours été complexes. « Alger s’est posé en intermédiaire incontournable dans toutes les crises entre Touaregs et gouvernement malien, explique Mathieu Guidère. »Sa perception d’Ansar Dine est donc très différente de celle de Paris, par exemple« . Pour Alger, »Ansar Dine est une figure fréquentable. Son chef, le Touareg Iyad Ag Ghali, a souvent été un interlocuteur de l’Algérie. Il est d’ailleurs surnommé dans la région comme ‘l’homme des Algériens’".
Contrairement à la France et aux Occidentaux qui ne font presque aucune distinction entre Mujao, Aqmi et Ansar Dine, « Alger considère [ce dernier] comme un mouvement rebelle et non pas terroriste. À partir de ce constat, soigner les relations avec ce mouvement islamiste n’a donc rien ni de surprenant, ni de choquant pour Alger », conclut Mathieu Guidère.
Par Charlotte BOITIAUX