Forcément, quand on pense à Richard Widmark, on pense à son rire. Son rire de psychopathe, son ricanement de hyène, celui qui accompagne son jeté de paralytique dans l'escalier de Kiss of death (Le carrefour de la mort), le film de Henry Hathaway qui le révélera au grand public et lui vaudra une nomination à l'oscar. On aura beaucoup parlé de ce film sans forcément aller plus avant dans la personnalité d'un acteur remarquable. Dommage.
Avec le rire, il y a le rictus, une façon unique de tordre sa bouche qui lui donnait l'air d'un canard hargneux, un côté Daffy ou Donald, un côté assuré, trop sur de lui et toujours proche de l'explosion. C'est là que réside l'essence de son talent d'acteur, comme John Wayne avait sa démarche, car ce rictus, il l'a conservé dans tous ses rôles, des sales types puis des bons gars quand il assurera la transition avec le magnifique polar d'Elia Kazan Panic in the streets (Panique dans la rue) en 1950. Ce que son rictus laissera deviner de tourments intérieurs donnera tout leur poids à ses personnages pour Jules Dassin ou Samuel Fuller. Et quand il passe au western, car c'est l'un des très grands acteurs du western, ce type qu'il a construit donne aux films dans lesquels il joue une étonnante modernité. Je le vois un peu comme James Stewart à la même période. Il laisse entrevoir des fêlures secrètes, une véritable douleur. Dans Warlock (L'homme aux colts d'or) tourné en 1958 par Edward Dmytryk, il est blessé à la main de la même façon que Stewart dans The man from laramie (L'homme de la plaine) tourné deux ans avant par Anthony Mann. Et sur les deux visages, il y a la même expression de souffrance. Une expression que l'on retrouve dans son rôle de Comanche Todd pour Delmer Daves dans The last wagon (La dernière caravane) ou quand il est tué à coup de baïonnettes dans le finale d'Alamo.
Alamo, le film obsession de John Wayne. Ravi que Widmark ait accepté le rôle de Jim Bowie, Wayne fait publier une page dans la presse spécialisée : « Bienvenue à Alamo, Dick ! ». Peu sensible à cette bruyante démonstration, Widmark fait répondre : « La prochaine fois, appelez moi Richard ». Vexé, le Duke répliqua qu'il n'y aurait pas de prochaine fois. Pourtant, leur couple de jouisseurs bagarreurs fonctionne pleinement face au raide et aristocratique Travis joué par Laurence Harvey. Colérique, enthousiaste, lyrique, violent, cabochard, héroïque, Widmark donne une superbe interprétation. Et puis ce film est pour lui l'occasion de rencontrer John Ford. Avec finesse, Ford va lui confier des rôles, deux rôles, plus proches de la personnalité réelle de l'acteur. D'une certaine façon Widmark prend le relais de Wayne dans l'univers fordien, aux côtés de James Stewart dans Two rode together (Les deux cavaliers) en 1961 puis dans Cheyenne's autumn (Les cheyennes), ultime western du maître en 1964. Il y est l'homme intègre, le militaire forte tête capable d'humanité et de parole, ultime porte parole masculin (avant Ann Bancroft) du réalisateur.
Widmark pouvait aussi jouer le calme et la douceur de la nostalgie. C'était rare mais c'étaient de beaux moments. Il avait des gestes plein de grâce, même quand c'étaient des gestes d'emportement. Il faudrait encore citer cet étrange film The Bedford incident (Aux postes de combats) réalisé par James B. Harris et qu'il produisit, un film de guerre froide pas très loin du Folamour de Kubrick. Et puis Madigan (Police sur la ville) tourné par Don Siegel en 1968, peut être son dernier grand rôle, l'un de ses plus marquants, celui du policier Madigan, dont sa vie s'écroule autour de lui au coeur d'une ville qui le broie. Blessé grièvement lors du finale, il s'écroule dans l'entrée d'un appartement minable, Alamo de pacotille. La douleur était déjà sur le visage dès les premiers plans du film. Une douleur qu'il conjurait d'un éclat de rire sarcastique.
A lire les hommages sur Noir of the week, Cinebeats et le forum western movies.