Il y a deux façons d’aborder le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union européenne. L’une consiste à l’abstraire de l’espace et du temps, à n’y voir que la compilation des traités antérieurs, et, à ce titre, un motif de le ratifier ou la raison de s’y opposer. La seconde approche ne sépare pas le texte de son contexte. Elle s’inscrit dans le moment historique que vit l’Europe, la confrontation entre austérité et relance, conservatisme et socialisme, dans une crise d’une violence exceptionnelle pour les peuples.
Depuis cette table d’orientation, une réalité saute aux yeux : l’alternance en France a commencé à infléchir le cours des choses en Europe. En Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie, les coupes aveugles dans les dépenses sociales et d’avenir prônées par le duo Merkel-Sarkozy se sont révélées un amplificateur de crises - économique, sociale et finalement budgétaire. Depuis le 6 mai, un autre chemin s’est ouvert, régulateur face à la finance, interventionniste face au laisser-faire des marchés, conjuguant sérieux budgétaire et soutien à la croissance. Des acteurs majeurs se sont engouffrés dans cette brèche, et pas des moindres : des chefs de gouvernement conservateurs (dont MM. Monti et Rajoy), la Commission qui multiplie les initiatives en faveur de l’investissement, la Banque centrale européenne qui rachète - enfin ! - des titres de dette des pays fragilisés par la spéculation.
Il y a six mois, ces changements étaient inconcevables. Ils sont aujourd’hui incontestables, et c’est à François Hollande qu’on le doit.
Dès son investiture, le 15 mai, il s’est rendu à Berlin pour s’opposer au catéchisme libéral-conservateur de la chancelière Merkel. Avec courtoisie et fermeté, le chef de l’Etat lui rappela deux vérités que son prédécesseur avait, hélas, piétinées : la relation franco-allemande se fonde sur l’amitié dans l’égalité et l’Europe compte 25 millions de chômeurs. Ces deux données exigeaient de ne pas ratifier en l’état le TSCG approuvé par M. Sarkozy, que les électeurs ont depuis sanctionné.
Durant la campagne électorale, la gauche et les écologistes, avec certains gaullistes, avaient dénoncé trois dangers qui, un à un, ont été écartés. Ce traité n’est pas une constitution : rien à voir avec celui que Jacques Chirac avait soumis à référendum en 2005 et que le peuple français avait justement rejeté.
Autre acquis de taille : ce que les droites européennes baptisent faussement « règle d’or » n’aura pas, en France, valeur constitutionnelle.
La trajectoire européenne en matière de finances publiques obéira aux procédures de décision et d’exécution budgétaires nationales, avec une double garantie de souveraineté : c’est le Parlement qui votera le budget sans intrusion a priori de juges communautaires non élus et, à l’échelon européen, tout pays signataire du calendrier de réduction des déficits pourra s’en délier si les circonstances le justifient et qu’une majorité qualifiée de pays y souscrivent.
Surtout, le TSCG a été complété par des décisions favorables à la croissance, l’investissement et l’emploi.
C’est le « paquet relance » arraché de haute lutte aux conservateurs par la France lors du sommet de Bruxelles en juin dernier. Il prévoit 120 milliards d’euros de mesures immédiates via la Banque européenne d’investissement (BEI), les fonds structurels et des project bonds. Ces ressources, à mobiliser en lien étroit avec les régions, ouvrent la voie à une ambition européenne pour les transports collectifs, la rénovation thermique des logements, les énergies nouvelles ou encore une filière industrielle de la voiture décarbonée. Il ne s’agit pas seulement de vouloir de nouveau la croissance, mais de rendre possible une croissance nouvelle, plus écologique et plus sociale. En même temps, sont prévues la taxation des flux financiers - réclamée par la gauche politique, syndicale, associative, depuis quinze ans - et l’esquisse d’une supervision bancaire pour protéger l’épargne populaire et faciliter les prêts aux PME. Ces avancées aideront à la sortie de crise.
Reste une évidence : le TSCG est une étape aussi nécessaire qu’insuffisante.
D’autres seront à engager sans attendre, sitôt le traité ratifié, pour bâtir l’Europe que nous voulons : accorder au Mécanisme européen de stabilité (MES) une licence bancaire qui lui ouvrira l’accès aux financements de la BCE, préalable à une mutualisation des dettes publiques sous forme d’eurobonds ; retrancher les investissements stratégiques d’avenir du calcul du déficit public ; renforcer le budget de l’Union, notamment en lui affectant une part du produit de la future taxation sur les transactions financières ; faire converger assiettes et taux de l’impôt sur les sociétés pour que cesse le dumping intraeuropéen et définir un cadre partagé en matière de salaire minimum ou de temps de travail ; imposer la réciprocité commerciale dans les échanges pour faire prévaloir les règles sociales et environnementales dont s’exonèrent, au détriment de notre industrie, certaines multinationales ou certains Etats émergents - bref, ne pas craindre de revendiquer un protectionnisme européen.
Voilà pourquoi, alter-européen, je me bats avec beaucoup d’autres à gauche depuis vingt ans. Voilà pourquoi la gauche française représente un espoir par-delà l’Hexagone. Dans cette période historique, le rapport de forces n’est pas à établir au sein de la gauche française, mais face aux droites européennes. François Hollande a mis un pied dans la porte de l’Europe conservatrice : aidons-le à enfoncer celle-ci.
Tribune de Guillaume Bachelay, député PS de Seine-Maritime, Marianne du 22 septembre 2012