Mi-Janvier, j'ai été convié à la première projection française de CHRONICLE, dans lequel un trio de lycéens acquiert des super-pouvoirs qu'ils ne vont pas tous utiliser pour faire le bien - une sorte de variations teen des X-Men si vous voulez. En entendant parler du film quelques mois auparavant, la première chose que je me suis dit, c'est "encore des super-héros". Ça fait plus de dix ans que les studios nous en sortent à toutes les sauces : la super-héroïne de romcom (MY SUPER EX-GIRLFRIEND), le super-héros qui n'en est pas un (KICK-ASS), les super-héros tourmentés (WATCHMEN), le super-héros animés (MEGAMIND, LES INDESTRUCTIBLES), le super-héros alcoolique (HANCOCK) et j'en passe.
Mais Hollywood n'est pas du genre à reproduire cent fois la même chose à l'infini. Non, voyons ! Hollywood est du genre à reproduire cent fois la même chose... mais avec un twist. En l’occurrence, le twist ici, c'est le style narratif et esthétique de CHRONICLE. Le film est tourné comme un "found footage movie" soit comme si les images défilant sur l'écran de votre multiplexe préféré avaient été tournées par les héros du film eux-mêmes.
Comme THE BLAIR WITCH PROJECT, oui. C'était le premier du "genre" (le deuxième si on compte le phénomène underground CANNIBAL HOLOCAUST, vingt ans plus tôt). C'était en 1999. A l'époque, le film indépendant qui n'a coûté que 60.000 dollars en rapporte 248 millions au box-office mondial. Il devient un phénomène de société. Profitant de l'émergence d'Internet et surtout d'une non-maîtrise totale du média par le commun des mortels, les producteurs et distributeurs du film exploitent cette zone de flou pour embrouiller le cerveau de millions de gens sur la planète : les images du film sont-elles réelles ou non ? J'ai vu THE BLAIR WITCH PROJECT au cinéma, aux Etats-Unis. J'avais 20 ans. Le film n'était pas encore sorti en France et je me rappelle qu'à mon retour tout le monde me posait la question : "alors c'est vrai d'après toi ?" Internet était assez répandu pour que les gens aient entendu parlé de ces images mystérieuses d'étudiants tourmentés dans une forêt par une force maléfique mais pas assez pour que la vérité sur ces images soient connues de tous. Cela peut paraître surprenant à l'époque de Twitter mais beaucoup ont cru à la véracité des images de THE BLAIR WITCH PROJECT. Beaucoup. Moi-même, je me rappelle très bien avoir été troublé quand j'ai découvert le site Internet du film - à l'époque, le web était arrivé chez mes parents depuis seulement quelques semaines.
C'était 1999 et le monde avait encore le droit d'être naïf.
Mais Hollywood a, semble-t-il, cru que son coup ne serait jamais reproductible, que le coup marketing n'était qu'un cas isolé (la "suite" était d'ailleurs un film de fiction tout ce qu'il y a de plus classique). Car il y avait tout de la bonne arnaque dans le marketing de THE BLAIR WITCH PROJECT et, dans ces cas-là, les gens se font avoir une fois, pas une deuxième. Résultat : le film d'horreur n'a pas fait d'enfants pendant près d'une décennie. Les "found footage movies" ont complètement disparu.
Puis les gens ont voulu arrêter d'être naïfs. Ils ont eu des abonnements haut-débit à 19,99 euros, ils ont été sur Twitter et ont fait des blagues sur les dictateurs morts, les célébrités qui se shootent et les entreprises qui plantent leur com'. Ils étaient prêts à retourner voir des "found footage movies". Après tout, ils étaient devenus cyniques. Ils regardaient JERSEY SHORE, THE HILLS et tout plein de télé-réalité débilitantes en se répétant inlassablement, comme un hamster dans sa roue, que tout ceci n'est bien sûr pas la réalité, "que de la télé" et du LOL. Ils étaient prêts. Ils savaient que tout ce qui leur était montré à l'écran n'était "que du cinéma". Ils étaient déjà shootés à la fausse réalité.
Donc après s'être lassé des "FAUSSES" DESPERATE HOUSEWIVES, ils ont préféré passé leurs soirées à rigoler devant les "VRAIES" HOUSEWIVES DE BEVERLY HILLS et sont retournés voir des "found footage movies" au cinéma, bien aidés par Hollywood qui a senti le vent tourner. Pas bête la bête.
C'est CLOVERFIELD qui relance la machine en 2008 grâce à un marketing qui reprend l'idée de BLAIR WITCH dix ans auparavant... mais avec un twist. Cette fois, la production ne fait pas passer la fiction pour la réalité mais réinvente la réalité avec la fiction. Ce n'est plus une possible réalité qui fait bander le spectateur mais une possible fiction. Dans un monde désormais obsédé par la réalité, la production de CLOVERFIELD fait tout pour la cacher en s'amusant avec la fiction et en abreuvant donc Internet d'informations plus ou moins lié au film pendant les mois qui précédèrent la sortie du film. La fiction s'invitait dans la réalité. Les résultats au box-office n'ont pas été pleinement au rendez-vous mais la boîte de Pandore avait été ouverte.
La déferlante a commencé et ce ne fut pas glorieux. DIARY OF THE DEAD, QUARANTINE (le remake de REC), APPOLO 18, LE DERNIER EXORCISME, HOME MOVIE, les récents THE DEVIL INSIDE et CHRONICLE. Le phénomène est tel qu'il pousse Paramount a fouillé ses fonds de tiroirs d'acquisitions pour y pêcher PARANORMAL ACTIVITY, un film fabriqué pour 15.000 dollars en 2006. Il n'avait intéressé personne pendant deux ans mais avec ce besoin de "réalité", le film mort-né renaît de ses cendres. Aidé par un budget marketing qui a multiplié par 1000 son budget initial, PARANORMAL ACTIVITY récolte 193 millions de dollars de recettes dans le monde avec des résultats à peu près similaires pour ces deux suites. Banco commercial. La tirelire explose.
Mais si le film était resté si longtemps sur des étagères poussiéreuses, ce n'était peut-être pas seulement parce qu'il ne correspondait "pas encore" à l'ère du temps. C'était peut-être aussi parce que le film était juste nul, non ? Je dois l'avouer : en ce qui me concerne, PARANORMAL ACTIVITY est le film d'horreur le moins effrayant que j'ai vu de toute ma vie. Et j'en ai vu beaucoup. Si un drap blanc qui bouge tout seul vous fait peur, ce n'est pas mon cas. En tous les cas, plus depuis mon huitième anniversaire. Et à une échelle moindre, tous ces films d'horreur précédemment cités n'ont pas beaucoup fait monter mon palpitant - à l'exception de CLOVERFIELD et THE BLAIR WITCH PROJECT.
Suite à la projection spéciale de CHRONICLE, son réalisateur Josh Trank disait qu'il avait toujours envisagé son film comme un "found footage movie" parce qu'il pensait que, désormais, "les spectateurs étaient habitués à ce langage cinématographique, à ce genre d'images". Je suis d'accord avec lui. Ils sont habitués. Ils en voient tous les jours sur YouTube et dans leur télé-réalité préféré. Mais est-ce pour autant une raison ? Je ne le crois pas. A mon (humble) avis, son film aurait pu être bien meilleur sans cet "artifice". Mas il aurait été sûrement plus cher.
Avec des chiffres de bénéfices net qui donnent le vertige, le "found footage movie" est en effet un concept qui rapporte. Et Hollywood reste Hollywood, avec ses bons comme ses mauvais côtés, l'opportunisme faisant partie évidemment de ces derniers. Aucun producteur ne le niera. Ils font ces films pour le fric avant tout. Les coûts de production sont tellement bas (notamment à cause de l'absence de stars) que le calcul est vite fait : un concept dans l'ère du temps qui marche au box-office + des coûts de production au ras des pâquerettes = BANCO !
Et donc après s'être attaqué à tous les sous-genres possibles de l'horreur, le "found footage movie" débarque dans l'autre genre préféré des ados : la comédie. Après le monumental échec commercial et critique de THE VIRGINITY HIT, la documentation d'un dépucelage produite par Will Ferrell, ce sera bientôt au tour de PROJECT X, la chronique d'une soirée de débauche adolescente produite par Todd Philips, le réalisateur de VERY BAD TRIP (!). Le rapport est évident : les ados de 2012 ont été élevés avec Facebook, YouTube, les téléphones portables avec caméra. Ils filment tout et tout le temps. C'est leur langage. Est-ce pour autant un langage cinématographique qui permet de saisir la complexité des personnage, d'une intrigue et surtout d'exposer un point de vue ? Est-ce que par exemple, s'il avait pu, le Breakfast Club se serait filmé pendant qu'ils déballaient tout leur secret les uns aux autres ?
Je ne le crois pas.
Selon moi, le "found footage movie" n'est rien d'autre qu'un gimmick. Un gimmick parfois efficace mais ce n'est pas une nouvelle façon viable de raconter des histoires. Les vidéos YouTube sont là pour durer: vous et moi aurons toujours besoin de montrer au monde à quel point nos vacances ou nos fêtes sont meilleurs que les autres. Mais les films façon vidéo YouTube, j'en doute. Avec un peu de jugeotte et d'artifices en tous genres, toutes les histoires peuvent être racontées de cette façon. Pas de doute là-dessus. Il suffit de voir la dernière partie de CHRONICLE pour s'en convaincre tant le réalisateur et son scénariste prennent d'évidentes libertés avec le concept. Mais toutes les histoires ne sont pas bonnes à être racontées de cette façon - au moins dans leur intégralité. C'est, selon moi, la différence entre BLAIR WITCH PROJECT ou CLOVERFIELD et les dizaines d'autres films qu'ils ont engendrés. Est-ce qu'il y avait des façons plus efficaces de raconter ces histoires ? Est-ce que le "found footage" est la meilleure manière de raconter mon histoire ? Ce sont les questions que les producteurs, réalisateurs et scénaristes devraient se poser et, clairement, beaucoup ne se la posent pas, aveuglés par les énormes bénéfices à court terme.
Ceux qui se la sont posés, au contraire, ce sont les réalisateurs du mouvement que la presse américaine a appelé "mumblecore" à la fin des années 2000. Si j'ai besoin de "fausse réalité" au cinéma, c'est vers eux que je me tourne. Les frères Duplass, Aaron Katz, les frères Safdie, Lynn Shelton, Joe Swanberg ou Andrew Bujalski. Voilà des réalisateurs, jeunes, élevés aux réseaux sociaux et à YouTube, qui montrent la réalité sous forme de fiction. Lisez le billet que j'avais écrit dessus en 2009 et vous comprendrez que gimmick et réalité ne peuvent pas s’accommoder comme Hollywood essaye de le faire croire ces derniers mois avec ses "found footage movies".