Parfois par choix, voire par philosophie, mais le plus souvent par pragmatisme, les responsables de ces petites entreprises trouvent refuge dans les rues voisines, unique moyen pour eux de profiter du trafic généré par les grandes enseignes sans payer le prix fort : « Pour nous, c’est la seule alternative, estime Jean-Raphaël Bachère, gérant du Lovely Center situé rue du Loup. Aujourd’hui, obtenir un emplacement rue Saint-Catherine ou rue Porte-Dijeau, c’est impossible pour un particulier. Je préférerais être dans une de ces rues mais pour un magasin comme le mien, il faudrait compter 300 000 à 500 000 euros de frais d’accès puis 5 000 à 15 000 euros de loyer. C’est inaccessible.»
Sur les axes commerçants, seules les succursales de grands groupes peuvent désormais assumer des tarifs devenus prohibitifs. Ces derniers mois, plusieurs commerçants indépendants comme Grand Quartier, rue Saint-Catherine, Blue Jean’s Department 1, cours d’Alsace-Lorraine, ou la quincaillerie Béjottes, place des Grands Homme, ont cédé face aux sommes faramineuses qui leur ont été proposées pour racheter leur pas-de-porte. « Il y a des offres qui ne se refusent pas, glisse dans un sourire Franck Lopez, cinquième génération de la famille Béjottes. C’est dommage de n’avoir plus que des grosses enseignes mais c’est l’évolution qui veut ça, on ne peut pas lutter. Si on se fait une petite place, c’est déjà pas mal...» Fin octobre, un nouveau Béjottes ouvrira rue Condillac dans un local plus petit et désormais loué, parce qu’«on ne voulait pas faire comme avant.»
« Ici, il y a une âme »
Un peu plus loin, à Saint-Pierre, Mathilde Careil, gérante de la boutique Matsaï Mara, ne regrette pas d’être un peu à l’écart de ces rues qu’elle considère comme le « royaume de la consommation de masse. » Par la force des choses, écartés des axes les plus en vue, les « indés » ont développé une offre plus complémentaire que concurrente. Dans sa boutique de prêt-à-porter féminin, rue du Pas-Saint-George, Mathilde revendique sa différence : « Dans les rues Sainte Catherine ou Porte-Dijeau, il n’y a que des enseignes nationales ou internationales. Les gens regardent le prix, essayent et achètent. Ici, je peux me démarquer. ça correspond mieux à ma clientèle qui est constituée de gens plus curieux, plus ouverts, moins suiveurs. On fait du commerce à l’ancienne avec du conseil, un contact humain. Je connais les clients, les fournisseurs, il y a un vrai échange. L’origine du commerce, c’est ça ! » Dans le magasin, deux clientes acquiescent : « Ici, on a l’impression d’être quelqu’un quand on vient, affirme Lucie. Quand on entre dans les grands magasins, on n’est personne.» Jean-Raphaël Bachère critique lui la « paupérisation de la diversité » qu’entraîne cette uniformisation de l’offre. « Dans ces rues commerçantes, on ne trouve plus que des grandes chaînes de textile, de cosmétique ou de téléphonie mobile. Et en plus, ces enseignes sont dupliquées ! On n’invite plus le consommateur à la balade.» « La rue Sainte-Catherine est triste, ajoute Mathilde Careil. Ici, les boutiques sont belles. Il y a une âme.» •
Olivier Saint Faustin