Canet, le 02 Octobre 2006
Rapprochement entre le pragmatisme et la position anarchiste bien tempérée.
Aujourd'hui nous reprenons après le petit pont de lundi dernier où l'on avait parlé de la question du travail, suite à la ‘journée avec' Lise Gaignard et Pascale Molinier. J'aimerais le faire, mais comme d'habitude, à ma façon un peu brouillonne. Dimanche dernier, j'ai passé une partie de la journée avec un copain qui s'appelle André De Tienne, grand spécialiste de Peirce. C'est un philosophe belge émigré aux États Unis où il est professeur à l'université d'Indianapolis. C'est dans cette ville qu'il y a ce qu'on appelle le Peirce Edition Project, un truc énorme qui consiste à éditer les écrits de Peirce. Six volumes ont déjà été publiés, et les volumes 7, 8 et 23 sont en cours. Le chef du projet est Nathan Hauser, un type très sympathique, et André De Tienne en est la cheville ouvrière. Mon copain André est quelqu'un qui s'intéresse beaucoup aux rapports entre la phénoménologie peircienne, c'est-à-dire la phanéroscopie, et la sémiotique, il essaie d'explorer ces voies-là avec les outils philosophiques qui sont les siens.
C'est toujours bien de discuter comme ça parce que ça permet de remuer des idées. Parmi les nombreux points qu'on a abordés, j'aimerais vous en soumettre deux qui pourraient peut-être nous servir : le premier concerne justement les rapports entre phanéroscopie et sémiotique. J'aimerais vous en dire quelques mots parce qu'il me semble que ça concerne tout ce dont on parle depuis que j'ai abordé la fonction iconique. Le second c'est quelque chose que je crois avoir déjà évoqué ici. Il y a quelques années de ça, Gérard Deledalle essayait d'obtenir des renseignements auprès de moi et d'autres personnes sur un certain nombre de figures anarchistes du XIXe siècle, en particulier sur Léo Seguin qui a traduit le texte de Peirce intitulé « Comment se fixe la croyance ? » qui figure dans À la recherche d'une méthode . Ce nom ne vous évoque pas grand-chose, mais il se trouve que Léo Seguin était un des adeptes de Blanqui. Je voyais Gérard faire nombre de recherches sur l'anarchisme et toutes ces figures, et je ne pouvais vraiment pas imaginer Peirce en anarchiste, parce que sur le plan politique il était plutôt conservateur et ne brillait pas par son extrême gauchisme. Il y a même des textes qui sont une peu limites, en tout cas qui font parfois scandale quand ils ressortent. (Sur la liste Peirce à laquelle j'ai été abonné pendant plusieurs années, il était parfois question d'une phrase un peu raciste de Peirce, qui, à mon sens n'était pas du tout raciste en contexte, c'était même le contraire.) Quoi qu'il en soit, Peirce le disait lui même : « Moi, je suis plutôt conservateur. »
Je me demandais pourquoi Gérard s'était intéressé à l'anarchisme, et récemment, à l'occasion d'une « supervision », j'ai entendu quelque chose qui a fait tilt. J'en ai parlé la dernière fois : c'est un vieux problème qui m'avait beaucoup préoccupé et qui, à l'époque, avait occasionné ma rupture avec le militantisme politique. C'était suffisamment important puisque ça avait produit un truc très pratique.
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