Le budget de rigueur 2013 dévoilé vendredi constitue « l'effort le plus important depuis 30 ans », selon… M. Hollande lui-même. Dans la droite ligne de son prédécesseur et de la défense de la « règle d'or », le président socialiste a l'intention de réduire le déficit à 3% l'an prochain (contre 4,5% en 2012) afin de ne pas être « dans la main des marchés ».
Bien sûr, les investisseurs de marché peuvent être satisfaits de cet apparent sérieux du président socialiste. Bien sûr, l'Allemagne peut être soulagée de voir que « Flamby » est finalement revenu à la « réalité » de la nécessité de la lutte contre les déficits, après ses invectives électorales.
Sauf que la réduction des déficits n'est pas la clé du problème de la France en soi : c’est la façon dont le gouvernement y parvient qui compte. Ainsi, derrière la rhétorique d’un budget « courageux et responsable », ou encore « de conquête », la réalité est que ce budget est essentiellement basé sur des augmentations d'impôts (24 milliards €) - et non des réductions de dépenses (10 milliards ?). Dans un pays où la dépense publique représente plus de 56% du PIB et la dette publique explose à présent près de 90% du PIB, un gouvernement « responsable » aurait lancé un effort sérieux de réformes visant à réduire le niveau des dépenses publiques.
Ainsi, la pression fiscale totale passera de 44,9 à 46,3% du PIB tandis que les dépenses publiques seront « stabilisées » à 56,3% du PIB. Les recettes de l'impôt sur le revenu devraient augmenter de 25% (de 59 milliards à 73 milliards). Une nouvelle tranche d’imposition à 45% est créée au dessus de 150.000 €, avec bien sûr toujours le fameux taux de 75% pour les revenus (du travail seulement) au-dessus de 1 million. Cette progressivité plus agressive n'est pas une bonne recette pour les incitations à investir et à créer. Le statut de l’auto-entrepreneur sera rogné. La nouvelle fiscalité sur les plus values de revente de parts d’entreprise (60,5 % !) sera une puissance incitation pour les entrepreneurs à ne plus lancer de projets d’entreprise. Les entrepreneurs se rebellent d’ailleurs avec un nouveau collectif qui proteste contre cette fiscalité anti-croissance : « les Pigeons » (http://defensepigeons.org). Les recettes de l’impôt sur les sociétés devrait augmenter de 30% à 52 milliards (en particulier du fait du rabotage des déductions fiscales des grandes entreprises sur charges d’intérêt).
On voit difficilement comment les problèmes de chômage élevé (qui a récemment atteint 10%) et de manque de compétitivité dû au coût du travail seront résolus par une telle politique (surtout après que le gouvernement l'été dernier a choisi de réduire l'âge de la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans et augmenté le salaire minimum national).
Aujourd'hui, le gouvernement maintient que la plupart de l'effort fiscal sera supporté par les ménages riches et les grandes entreprises. Mais, premièrement, derrière la rhétorique de « lutte des classes », l'on sait bien que de frapper les riches revient, en fin de compte, à frapper les pauvres - parce que les riches investissent moins ou partent. Ensuite, il s'avère en outre que, d'après un syndicat des impôts, 16 millions de foyers fiscaux (sur 36 millions) seront touchés par une augmentation d’impôts, étant donné le gel du barème de l'impôt. Le plafond du quotient familial est réduit de 2.300 à 2.000 €, ce qui nuira aux familles de la classe moyenne qui paient l'impôt sur le revenu. La nouvelle taxation des dividendes et de l’épargne va pénaliser les épargnants pauvres et moyennes de classe. Une mesure prise cet été par le gouvernement a déjà réduit le pouvoir d'achat des « travailleurs » : la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires.
La masse salariale de l’État est « gelée » à 80 milliards – et non pas réduite. Même la réduction du budget d’un Ministère aussi peu prioritaire que celui de de la Culture est risible (de 2,54 à 2,43 milliards d'euros - soit à peine 110 millions ... de différence). Effectivement, 12 300 emplois seront supprimés dans les différents ministères. Mais 11 000 nouveaux emplois publics seront créés (en plus des 6 800 déjà créés cet été). La règle du non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite mise en place par M. Sarkozy a été supprimée. Même quand il est affirmé que les programmes publics seront réduits (mais Jean-Marc Ayrault n'en a pas mentionné un seul au cours d'une émission TV jeudi soir), il est difficile de voir où seront trouvés les 10 milliards.
Une étude récente du NBER* par Alberto Alesina, Carlo Favero et Francesco Giavazzi constate que les ajustements budgétaires axés sur les dépenses sont « associés à des récessions mineures et de courte durée, et dans de nombreux cas pas de récession du tout » tandis que « les ajustements fondés sur l'impôt » sont associés à « une récession profonde et prolongée ». Il est grand temps que la France rationalise son administration (par suppression de couche dans son « mille-feuilles ») et réduise ses dépenses publiques. M. Sarkozy était sans doute un grand dépensier faisant exploser la dette publique d'environ 30% (ce qui affaiblit les critiques de l'opposition aujourd'hui), mais l'effort de rationalisation des dépenses publiques avec la Revue générale des Politiques Publiques était un bon début. M. Hollande l'a écarté.
Enfin, notons l’habituelle l’hypothèse optimiste quant à la croissance l'année prochaine : 0,8% alors que les économistes prévoient 0,3%. 0,1% signifie tout de même à 1 milliard. Comme il est évident que le choc fiscal étouffera l'économie, les prévisions de croissance du gouvernement de 2% pour les prochaines années sont un gag.
Après près de quarante ans de budgets en déficit, le fait que la France se soit enfin tournée vers la responsabilité budgétaire a pu paraître comme une bonne nouvelle. Mais c'est le type de chemin vers la responsabilité financière qui importe, et, malheureusement, M. Hollande a choisi « l'austérité avec plus d'impôts et pas de réforme ». La France étant un acteur incontournable dans la crise actuelle de l’Euro, ce budget éminemment pro-récessif, s’il est voté, ne pourrait-il signifier la fin proche de l'Euro ?
* “The output effect of fiscal consolidations”, NBER Working paper No. 18336.
Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org.