L'action de cette chronique de mœurs, comme le précise l'auteur dans un avant-propos, se situe dans une petite ville d'eaux : Ribamourt, ce nom cache en réalité Salies-de-Béarn, pour mémoire (familiale), siège de l'imprimerie Frontère. Il y est question d'une succession, le de cujus², Diodore Lescaa, est surnommé l'Onagre : il rue comme l'équidé du même nom! Beaucoup guettent sa fortune et d'emblée Paul-Jean Toulet nous entraîne d'ailleurs au cœur d'un office notarial, entrée en matière qui n'est pas sans évoquer le début du Colonel Chabert de Balzac. Voici Vitalis Paschal, il est clerc, il seconde le notaire, maître Beaudésyme, tandis qu'en dehors de l'étude il courtise sa femme, Basilida, une jolie blonde... qu'il honore de temps en temps.
Cousin et filleul de Diodore Lescaa, Vitalis peut espérer hériter d'une partie de la succession. Mais pour cela il devra mettre une croix sur sa liaison avec Basilida. Sa tâche se trouve facilitée puisque c'est elle qui décide de rompre après s'être confessée auprès du Révérend Père Nicolle, un jésuite. Pour autant, Vitalis n'y perdra pas au change puisqu'il obtiendra - c'était l'une des conditions de la succession - la main de la jeune fille verte, Sabine de Charite, verte à cause de son teint olivâtre, d'une part, et de son absence d'expérience amoureuse, d'autre part :
« Elle avait croisé les bras derrière sa tête, et ce geste, qui lui avait fait respirer l'odeur et l'acidité de son propre corps, la fit songer à ces violettes qui fermentent au soleil après une pluie d'orage. », p. 77
... ou de l'acidité des jeunes filles dans les villes d'eaux. Dommage à cet égard que Toulet n'exploite pas davantage le filon de l'économie thermale, à peine citée au titre de la venue à Ribamourt de nombreux étrangers et des soins donnés aux neurasthéniques ; les eaux sulfureuses ont la propriété de guérir le spleen. On se souviendra a contrario de la manière dont Guy de Maupassant a composé, sur ce thème des villes d'eaux, son roman Mont-Oriol (là pour le coup, c'était Châtel-Guyon qui était décrite). Mais on se consolera grâce à la qualité du style de Paul-Jean Toulet qui confine parfois à la préciosité par le recours à des mots rares ou disparus : "omineux", "sotnia", "bergerade", "évaltonnée", "gotons" (à vos dictionnaires!) et surtout à son humour : « Quelques érudits dont la science se bornait aux limites de l'arrondissement », p. 77, voir aussi l'épisode de la rencontre de la buraliste évaporée avec le séducteur (bientôt honoraire! écrit Toulet) de la commune, sans oublier les affrontements plus ou moins feutrés, mais dépourvus d'onctuosité, entre les différentes factions ecclésiastiques, encore un souvenir de Balzac, celui du Curé de Tours, tant nous restons ici dans le registre, et dans la veine, des Scènes de la vie de province.
Et les amateurs de cigares, tels Thierry Frontère qui vient de relancer cette production dans le Béarn, seront ravis : « Elle s'y fournissait de cigares à cinq sous pour son mari, des conchas qu'il y jugeait meilleurs », p. 47 ; « Je voudrais de ces londrès, vous savez - une douzaine - que fume toujours Alexandre » ; « Des cigares l'un à l'autre - non moins qu'à La Havane - étrangers se mêlaient dans la sciure de bois. Il y en avait avec des bagues », p. 50 ; « Il m'a même fait venir deux boîtes de havanes, à vingt-deux sous, des Uppmann, ça s'appelle », p. 54 ; « Au dessert, on s'aperçut qu'il y avait pénurie de cigares », p. 91. Au dernier exemple près, de quoi en faire des volutes!
Paul-Jean Toulet, lui, à une époque de sa vie, se perdit dans d'autres vapeurs. D'opium.
Vous fumez?
(Paul-Jean Toulet, La jeune fille verte, Le Livre de poche, 1976). Le livre est épuisé, je me suis procuré un exemplaire d'occasion via Amazon.
M. Fr.
Notes
¹ « Dans Arle, où sont les Aliscams
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd ;
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c'est d'amour,
Au bord des tombes. »
² personne dont la succession est ouverte