Un texte d'Umar TIMOL (Île Maurice).
Par Ananda
AU COEUR DE LA LUMIERE.
Ainsi l'être chemine vers la lumière - du moins ce qu'il croit être la lumière -, lumière qui s'impose dans toute sa splendeur, son inévitabilité, elle est le
centre de l'univers, elle rayonne en tous llieux, rien ni personne n'est à l'abri de sa force, elle s'immisce partout, dans toutes les cavités, dans toutes les crevasses, elle est à l'origine
de l'histoire, elle l’invente, la renouvelle, lui impose sa destinée, elle est le grand architecte de l’univers, elle l’organise, le structure, lui accorde forme et substance, elle est la
langue et la rationalité, elle est l’intelligence et son culte, lumière qui rend captifs tous ceux qui demeurent à sa lisière, lumière si emplie de désir, lumière si dense qu’on ne peut y
résister et l’être, qui est encore jeune et sans doute naïf, chemine vers cette lumière, il y croit, de toutes ses forces, il croit que là-bas, au lieu de sa genèse, de son déploiement, il sera
autre, il deviendra l’autre, il ne sait pas tout à fait ce que cet autre recèle mais il est convaincu qu’il se réalisera là-bas, et il plonge, comme un assoiffé et un abruti, dans cette lumière
et puisqu’il est artiste, son cheminement sera celui des mots et des livres et il demeure, des jours durant, dans les bibliothèques, dans ces immenses théâtres du savoir et il lit et il lit,
des centaines, des milliers de livres, il s’imprègne de tous leurs manifestes, il les fait siens, il sait leurs moindres nuances, leurs moindres inflexions, il est au cœur même de cette
lumière, lumière qui ne cesse de pulser, lumière dont la vitalité semble être sans fins, sans limites, lumière qui puise dans les énergies de la curiosité et de la conquête, nul lieu ne lui est
interdit, elle ne récuse aucun blasphème, elle dépoussière d’anciennes éruditions, en invente de nouvelles, elle décèle l’infiniment petit et révèle l’infiniment grand, elle est la pure volonté
du savoir et il sait que c’est de ce lieu qu’émane sa force et comment ne pas se laisser porter, se laisser séduire, comment ne pas en faire l’axe central, l’axe dominant de son
devenir,
mais il découvre parallèlement les Ombres, il bute parfois sur des livres, qui lui révèlent les soubassements, les égouts de la lumière, d’abord il les lit sans
trop les prendre au sérieux, il n’est pas encore prêt à les affronter mais ces livres insistent, persistent, ils déconstruisent les mythes, excavent les ruptures du passé, ils déraillent une
logique toute faite, ils révèlent que la lumière a œuvré parfois de vastes charniers, il comprend que la lumière est ainsi mêlée aux Ombres mais des Ombres qui lui sont nécessaires car elles
rendent son existence possible, elle ne peut ainsi fonder son identité qu’en excluant l’autre, qu’en exacerbant la différence, il lui faut cette nécessaire altérité pour pouvoir être, il
comprend que les Ombres gisent au cœur même de la lumière, comme une créature autre et monstrueuse, sans laquelle la lumière ne peut subsister et les Ombres sont nombreuses, effrayantes,
elles sont la volonté de la domination, elles sont la volonté d’exploiter et de terroriser, elles sont une politique perpétuelle de deux poids et deux mesures, elles se drapent dans les grands
principes mais n'exercent qu'un seul véritable principe, la subjugation de l’autre, elles ne reconnaîssent qu’un seul langage, celui de la force, elle veulent s’imposer comme le seul
ordre possible, la seule finalité possible et la lumière aujourd’hui encore, ne cesse de s’étendre, il lui faut toujours de nouveaux territoires, elle est effectivement un monstre, toujours
prête à imposer son vouloir, à imprimer dans le corps de l’autre, du barbare, ses stigmates et l’être est ainsi perplexe et confus d’autant plus qu’il comprend que cet autre est lui, cet autre,
qu’on considère infantile et incapable de rationalité, cet autre, qui n’invente pas l’histoire mais qui la subit, cet autre, qui ne peut être qu’en s’élevant à la hauteur de la lumière et de
ses dépositaires, cet autre est effectivement lui, il est des Ombres, c’est son territoire, on l’a confiné en ce lieu, il ne peut en sortir, il tend vers un inaccessible qui l’exclut sans
recours
et alors il est deux tentations, celle de l’assimilation, du rejet de soi, de ses origines, de sa langue, de sa terre, ainsi devenir l’autre, s’incarner en
l’autre, adopter sa posture, son regard, parler comme lui, être comme lui, se justifier auprès de lui, ainsi ne garder de soi que quelques débris, un nécessaire exotisme qui signifie ma
différence mais qui n’est au fond rien car je vous ressemble, je suis vous, je suis le même, l’identique et il est une deuxième tentation qui est celle de la colère et de la révolte, ainsi
extraire de soi cet autre, ainsi se débarrasser de tout souvenir de l’autre, le renvoyer aux enfers, on brûle avec férocité ce qu’on a tant aimé, on devient son critique le plus impitoyable et
on cherche d’autres cheminements qui se situent souvent aux confins de ses premiers élans,
mais l’être est de toute façon perdu, confus, il sait qu’une déchirure creuse les sillons de son corps, il a parfois la nostalgie d’une identité plus sereine, il a
la nostalgie d’un ancrage limpide, savoir ainsi d’où on vient et ne plus devoir lutter contre soi, ne plus devoir lutter contre les autres,
et puis le temps passe, la déchirure demeure mais il est moins impatient, il comprend qu’on ne peut se défaire de l’histoire, il est des structures qui nous
précédent et nous ne pouvons exister qu’en relation avec elles, il comprend aussi que nos identités sont toujours fracassées, nous sommes des quilles portées par les grands vents, notre
blessure est sans doute de croire dans un lieu de repos, notre sagesse sans doute de savoir notre sang toujours mêlé et il s’agit d’apprendre la lucidité et l’équilibre, on doit apprendre
à retenir de l’autre ses vertus lumineuses sans céder à l’idéalisation ou à la critique au vitriol, il comprend qu’on doit œuvrer à la réconciliation, même si elle parait utopique et absurde,
même si elle parait naïve alors que déferlent les grandes machines de la guerre, il faut résister à la caricature, il faut résister aux certitudes qui exaltent la haine, il faut résister aux
doctrines qui affirment l’absolu, il faut perpétuellement chercher l’humain, en faire l’achèvement de toute quête et il faut espérer, tout simplement espérer,
et peut-être demeurer d’un lieu qui est celui du contre-pouvoir, contre soi d’abord, le combat sans doute le plus exigeant, contre soi et les dérives de l’ego, ego
qui désire la vanité et le paraître, ego qui nous inculque un sentiment de supériorité, ego qui nous enferme dans notre narcissisme et nous rend sourds aux autres, ego qui avance masqué, qui
trouve toujours des alibis pour justifier ses triomphes et aussi contre-pouvoir contre la domination, sous toutes ses formes et elles sont multiples, ainsi on découvre que les victimes sont
désormais les bourreaux, que les engrenages de la domination sont subtils et insidieux, elle ne cesse de se démultiplier, elle émerge en des espaces inattendus, elle répand toujours plus loin
ses tentacules, s’immisce partout, elle agit en nous et contre nous mais nous demeurons aveugles, ainsi demeurer en ce lieu qui est celui du contre-pouvoir, exercice perpétuel de vigilance,
savoir ainsi que toute lumière, même la plus stupéfiante, est teintée d’ombres et il ne s’agit pas de dépouiller cette lumière de ses ombres, ainsi cultiver une dangereuse utopie, mais mieux
appréhender ses ambiguïtés et les ambiguïtés en soi, demeurer ainsi en un lieu de contre-pouvoir contre soi, contre la domination car c’est sans doute un enjeu de vie contre les préalables de
l’apocalypse.
Umar TIMOL.