C’est toujours la même chose : s’exprimer
impose d’occuper une place particulière, suffisamment proche pour comprendre et
amener à soi la vérité des choses, mais nécessairement en retrait aussi pour ne
pas s’y laisser immerger et pouvoir se saisir d’un crayon, d’un papier, d’une
vue (avoir une vue sur les choses, comme on dit). C’est trouver une forme
d’équilibre entre la participation et la mise à distance, la disponibilité
passive et l’action. Il y a des jours où l’on se demande si les images que l’on
fabrique ne sont pas les émanations naturelles de sa simple position dans le
monde. On effeuillerait ses images du fait d’être ainsi placé face aux choses,
confronté aux apparences qu’elles nous renvoient et que nous ne pouvons faire
autrement que de saisir, à notre manière. Il y a des jours où on se demande si
ces images -et donc cette position- ne sont pas une manière de se protéger du
monde. Comme une religion fabrique une réalité plus acceptable que l’absolue
évidence, insensible et sans prétention à signifier quoi que ce soit qui chaque
instant nous désarme. Comme le reporter de guerre échappe pour partie au
conflit qu’il documente attentif aux images que le théâtre lui suggère et à
celles qu’il fabrique. Alors, ce qu’il faudrait dire, c’est que les images que
l’on fait sont une manière de nous placer dans le monde, nous assigner une
place. Ce qui est déjà esquisser une perspective. Ce qui est déjà esquisser une
ébauche de sens. Ce qui est déjà nous rassurer face au vide. Dès lors, on sait
ce que l’on a à faire : s’affronter à ce dont nous sommes partie prenante,
jouer de ce point d’appui. On ne sort pas facilement de ce régime de l’appui
par lequel on se donne corps. Peut-être parce que l'on ne fait que passer.