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Camp ? Non, merci

Publié le 01 octobre 2012 par Marc Lenot
Camp ? Non, merci

Ed Ruscha, SIN, 2002

L’esthétique ‘camp’ est une forme de dandysme assez extravagant, grotesque et bordélique, que célèbre l’exposition Flaming Creatures autour du film éponyme de Jack Smith (les samedis seulement, à la Fondation Julia Stoschek à Düsseldorf, jusqu’au printemps prochain). La plupart des artistes présentés ici sont californiens et on se sent parfois confronté à un univers assez éloigné du notre en termes artistiques, tout en se demandant comment il peut nous enrichir. Si le clin d’œil d’Ed Ruscha, à la fois célébrant et morigénant le péché - omniprésent dans cette exposition – adopte une forme religieuse et cinématographique (FIN) assez familière, je reste par contre toujours aussi hermétique aux divagations baroques de Trecartin & Fitch, dont l’artificialité exubérante me rebute (et, dans une veine assez similaire, à de vieux films des années 80 de Tony Oursler, qui a depuis appris une certaine sobriété). De même, le dernier film de Mike Kelley avant son suicide (Extracurricular Activity Projective Reconstruction n°36, Vice Anglais) autour de la figure de Dante Gabriel Rosetti, violent et brutal dans une esthétique ‘Hammer Gothic’, m’a semblé n’être guère plus qu’un vain exercice de style. Je ne suis visiblement pas très réceptif à ces excessives débauches visuelles et sonores.

Camp ? Non, merci

Bruce Nauman, Art Make-Up, 1967

C’est sans doute que je m’en remets à des ‘valeurs sûres’, ou en tout cas qui me semblent plus denses, plus réfléchies, plus inscrites dans l’histoire, à commencer par Bruce Nauman, qui montre ici Gauze et Pulling Mouth (1969) sur grand écran, et dont les quatre Art Make-Up (blanc, rose, vert et noir, 1967) cernent le spectateur : travail sur la peinture, sur la représentation et sur l’identité qui me fascine toujours.

Camp ? Non, merci

Paul McCarthy, Painting Face Down White Line, 1972

Il y a aussi sept vidéos assez anciennes (1971-1975) de Paul McCarthy qui sont de petits bijoux, des haikus physiques en image, sobres et dérangeants : dans celui montré ci-dessus, son corps est un pinceau, une brosse traçant une ligne blanche au sol. Mais il y aussi Ma Bell (outrage à un annuaire téléphonique), Whipping the Wall with Paint (du Pollock vertical), Icicle Slobber (absolument répugnant et drôle), Upside Down Spitting –Bat (lutter contre la gravité),…

Camp ? Non, merci

Jack Smith, ST, 1969-1975

Le titre de l’exposition est donc celui d’un film de Jack Smith de 1963 (projeté seulement le samedi dans une salle de cinéma très rétro ; l’immeuble qui abrite la collection de Madame Stoscheck est une ancienne usine redessinée par Kuehn & Malvezzi) dont les excentricités joyeuses et absurdes sont très présentes dans l’exposition : une performance hilarante au Zoo de Cologne en 1974, des collages, des vidéos et cette merveilleuse collection de soutiens-gorges délirants.

Camp ? Non, merci

John Bock, 2012

En somme, ce sont plutôt les œuvres historiques qui m’ont plu dans cette exposition, comme si la veine s’était depuis tarie, comme si les travaux plus récents n’avaient plus le même souffle, la même densité, mais se contentaient de répétitions formelles mais creuses. L’exception est sans doute John Bock, artiste allemand né en 1965, qui a construit un labyrinthe au centre d’un étage de l’exposition : il faut grimper sur un échafaudage en bois brut, passer la tête dans des caissons où sont projetées ses vidéos, glisser sur une pente raide et bosselée au risque de se rompre le cou, et perdre la tête devant ces roto-reliefs. Comme le sol tourne aussi, le vertige est garanti. C’est sobre et efficace, et finalement bien plus proche de l’éthique d’un Nauman ou d’un McCarthy que les extravagances d’un Trecartin.

Quant à redéfinir le ‘camp’… Susan Sontag a écrit que c’était un amour de l’artifice et de l’exagération : est-on si loin de l’esthétique, infiniment plus froide, mais tout aussi artificielle et démesurée, de Gursky, vu le matin même ? D’ailleurs…

Photos de l'auteur. Bruce Nauman étant représenté par l'ADAGP, la reproduction de son oeuvre sera ôtée du blog à la fin de l'exposition.


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