Viol par procuration (American Psycho)

Par Borokoff

A propos de Compliance de Craig Zobel 

Ann Dowd

Un soir, dans une petite ville de l’Ohio, Sandra, la patronne d’un fast-food, reçoit un étrange coup de téléphone. A l’autre bout du fil, un homme se faisant passer pour un policier lui annonce qu’il est en compagnie d’une femme qui jure que Rebecca, l’une des employées du fast-food, vient de lui dérober de l’argent. Prétextant qu’il doit se rendre au domicile du frère de Rebecca, soupçonné de trafic de drogue, le faux policier demande à Sandra de fouiller minutieusement la jeune femme en attendant qu’il arrive, jusqu’à la faire se déshabiller complètement. Bientôt, la séance de fouille tourne à l’humiliation pour Rebecca. Mais le « policier » ne compte pas s’arrêter en si bon chemin…

Troisième long-métrage de Craig Zobel, Compliance (en anglais, « docilité ») retrace avec fidélité un fait divers aussi invraisemblable (et horrible) que parfaitement exact. Aux Ētats-Unis, en 2004, un Américain fut arrêté après avoir passé plus de 70 appels, pendant dix ans, dans différentes Ētats du pays et vers divers chaînes de restauration rapide. A chaque fois, l’homme se faisait passer pour un policier et cherchait à faire se déshabiller entièrement ses victimes, toujours des femmes, pour les humilier et assouvir ses fantasmes sexuels, ceux d’un pervers frustré en mal d’une domination que l’on pourrait appeler par procuration.

Comme le faux policier n’ose pas s’attaquer directement à sa victime (introverti, il n’assume pas son côté détraqué ni ses déviances sexuelles), il demande à ses interlocuteurs successifs, qui surveillent Rebecca, de fouiller de plus en plus en détails la jeune femme, au nom de la police, de l’enquête qu’il a diligentée et de l’autorité qu’il représente.

Dreama Walker

Et ce qui est fascinant en effet, c’est de voir la docilité avec laquelle Sandra (excellente Ann Dowd), la patronne quinquagénaire, obéit non pas au doigt (pardon pour la mauvaise allusion) et à l’œil, mais sans opposer de résistance ni trouver le policer suspect au téléphone. Sandra prétextera par la suite qu’elle trouvait le flic certes « un peu bizarre au téléphone mais qu’elle ne s’était pas méfiée parce qu’il avait toujours réponse à tout ».

Crédules, donc, les gens qui fouillent jusqu’à la faire pleurer cette pauvre et jeune employée innocente. Bientôt, la fouille tourne à la torture et à l’abjection quand le policier demande au fiancé de Sandra, qui vient de débarquer, de « reprendre » la fouille et de redéshabiller entièrement la jeune femme !…

La question centrale et l’enjeu du film sont d’essayer de comprendre le mécanisme selon lequel on peut se faire manipuler à ce point-là par un pseudo-policer qui a fait croire à tous ses interlocuteurs que cette fouille approfondie évitera à la jeune femme des ennuis par la suite comme celui majeur de finir en prison. Comment en arriver à des actes qui sont un viol de son intimité ? Aurions-nous accepté de nous soumettre au téléphone à des ordres aussi vils et répugnants ? Qui plus est, venant d’un inconnu qui se faisait certes passer pour un policier, mais qui n’en fournissait aucune preuve. Constamment, on se demande comment des gens ont pu suivre aveuglément les ordres tordus d’un tel étranger au téléphone. C’est d’autant plus abject que Sandra développe même certaines affinités avec l’inconnu, que l’on voit bientôt filmé depuis chez lui, donnant ses ordres tout en sirotant un soda ou en mangeant tranquillement un bon sandwich.

Les collègues de Sandra ont-ils obéi parce qu’ils craignaient eux-mêmes d’avoir des problèmes avec la police, en ne se montrant pas assez coopératifs par exemple ? Avaient-ils plus peur de l’ordre ou de la voix autoritaire d’un homme qui demande qu’on l’appelle « Monsieur » au téléphone ?

On ne doute pas une seconde que ce faux flic est un malade mental aux fantasmes mal assumés. Mais comment des gens ont pu lui obéir sans lui montrer plus d’opposition. Ce qu’il y a de plus inquiétant, c’est cette soumission totale que le film décrit bien même si on a du mal à croire par exemple que le fiancé de Sandra ait pu accepter de mettre une fessée à Rebecca (moyenne Dreama Walker, mais moyennement dirigée aussi) sous prétexte qu’elle n’avait pas été sage ni coopérative !

Un seul type, à la fin du film, à qui on a demandé de surveiller Rebecca, refusera d’obéir catégoriquement à l’inconnu au téléphone et de fouiller dans son intimité – et pour la troisième fois – la jeune femme. Mais les autres n’étaient-ils pas devenus des marionnettes dans les mains d’une voix inconnue qui semblait les avoir envoûtés ?

L’histoire est sordide pour ne pas dire répugnante (on pense aux faits divers qui ont inspiré Fargo ou The Barber des frères Coen), mais elle très fidèlement racontée dans Compliance. Tellement fidèlement que le film parait un peu anecdotique parfois malgré les questions dérangeantes qu’il pose sur l’étrange et inquiétante facilité avec laquelle les Hommes peuvent se soumettre à une autorité.  A la différence du génial Duel de Spielberg, la mise en scène de Zobel aurait gagné à ne pas montrer du tout le faux policier, ce qui aurait accentué la peur du spectateur (ce fameux inconnu qui nous dévore) en même temps qu’elle aurait donné une toute autre ampleur et une autre tension dramatiques au film, qui finit de manière un peu bancale par des plans et des interviews façon reconstitution documentaire.

http://www.youtube.com/watch?v=P1D2lTYh4K8

Film américain de Craig Zobel avec Ann Dowd, Dreama Walker, Pat Healy… (01 h 30)

Scénario de Craig Zobel : 

Mise en scène : 

Acteurs : 

Dialogues : 

Compositions :