Magazine Cinéma
Une des choses fort appréciable à Paris lorsque l’on aime le cinéma, c’est que malgré l’assiduité pour guetter tout ce qu’il y a d’intéressant à voir sur un grand écran, il est possible de faire des découvertes fortuites. Balader ses yeux dans la liste des films à l’affiche, zieuter un peu ce qui passe dans telle ou telle salle, et boum, on se rend compte que si l’on n’avait pas fait attention, on serait passé à côté d’une belle opportunité cinéphile. Cela m’est arrivé il y a encore quelques jours à peine en tombant sur la programmation de la semaine du Nouveau Latina, le cinéma du Marais qui héberge notamment chaque samedi soir « Panic ! Cinéma ».
« Reprise des films du Festival de Locarno ».Ah bon ils font ça au Latina ? Depuis quand ? On verra bien ce qu’ils en disent sur place, car hors de question de passer à côté d’une telle occasion, d’autant que parmi les œuvres qui me sautent aux yeux, l’une s’inscrit parfaitement dans mon emploi du temps : « Somebody up there likes me ». Certains d’entre vous reconnaîtront là le titre d’un film de boxe des années 50 ayant lancé la carrière de Paul Newman sur grand écran (« Marqué par la haine » en français), mais le « Somebody up there likes me » présenté ce jour-là au Nouveau Latina n’avait rien à voir avec le film de Robert Wise.
La faible densité de spectateurs ayant répondu présent (certes un jour de semaine à 17h, mais lorsque je sortirai à 18h30, il n’y aura pas plus de monde à faire la queue pour le film suivant) laisse penser que la manifestation doit être jeune et fort peu connue. En fait, lors de la présentation du film, on apprendra que c’est la troisième année que le Centre Culturel Suisse organise une reprise des films du Festival de Locarno à Paris (une sélection de films pour être plus précis), mais qu’il s’agit de la première fois que les films sont projetés dans une vraie salle de cinéma et non plus au Centre Culturel lui-même. Pas étonnant donc que je n’en avais pas entendu parler jusqu’à cette année.
Olivier Père, directeur artistique du Festival de Locarno (plus maintenant en réalité, il vient de quitter le festival), avait fait le déplacement pour nous présenter le premier film de la sélection à être projeté, « Somebody up there likes me », donc, lauréat du Léopard d’Argent lors de la manifestation suisse en août dernier. Calé à mon cinquième rang fétiche, j’attendais le début des festivités lorsque j’entendis les deux spectatrices dans mon dos discuter : « Oh ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu lui ! - Qui, lui ? Tu sais qu’ils ont parlé de lui dans So Film ? - Ah c’est LUI Plastic Man ?? Ils mettaient pas sa photo dans l’article, je savais pas que c’était lui ! »
Je me retourne, et effectivement, je vois mon cinémaniaque préféré en train de discuter quelques rangs plus hauts, debout, avec un autre spectateur. Le dossier de So Film sur les cinémaniaques va le rendre encore plus célèbre dans la communauté cinéphile parisienne… Quelques minutes plus tard, il passera devant mon rang pour s’installer au sien, le premier. Si ce camarade cinéphile que j’ai régulièrement croisé au cours du mois à L’Étrange Festival est là, c’est que j’ai certainement bien fait de me déplacer moi aussi. « Somebody up there likes me » est issu de la scène ciné d’Austin, Texas, et Olivier Père n’avait pas besoin de le préciser, même sans reconnaître la ville il suffit de jeter un œil au générique de fin et d’y voir apparaître les noms de Richard Linklater et Terrence Malick dans les remerciements pour se douter que le film que l’on vient de voir était de la région.
Mais tant qu’à parler de références texanes, le film de Bob Byington se rapproche plus de l’univers absurde et mélancolique de Wes Anderson, mais arrêtons là les comparaisons tant « Somebody up there likes me » est un drôle de film qui ne ressemble à rien d’attendu. En 1h15 à peine, le réalisateur se permet de brasser une trentaine d’années de la vie d’un homme, et quand on constate que certains cinéastes ont bien du mal à le faire en plus de deux heures, l’audace semble immense. Le tour de force fonctionne parce que ce n’est pas la densité narrative qui est recherchée (ce serait idiot en 1h15). Byington vise les petites touches, comme des instantanés d’une vie, une vie morne qui plus est, racontée malgré tout avec le sourire aux lèvres.
C’est l’histoire d’un jeune homme qui ne fait pas grand-chose de sa vie, il est serveur dans un restaurant, n’a pas vraiment d’ami sinon son collègue pince-sans-rire (Nick Offerman de « Parks and Recreation », déjà vu cette année dans l’inénarrable « 21 Jump Street »), rencontre une fille, l’épouse, fonde une famille avec elle. Les années passent et il ne change jamais vraiment. Sa vie n’a pas vraiment de sens mais cela ne le chagrine pas. Il se satisfait de la simplicité de son existence, sans ambition, sans vrai bonheur ni tristesse. Il avance et ne vieillit pas. Ça n’a pas l’air gai et pourtant ça l’est indéniablement. L’humour est omniprésent, comme pour désamorcer le gris de cette existence et de celles guère plus glorieuses qui l’encadrent et parcourent le film. Dialogues de sourds et absurde émaillent les relations humaines de ce Dorian Gray texan. L’ennui semble le quotidien des héros du récit, mais le réalisateur trouve un langage des plus étranges pour nous faire rire de cette morosité ambiante sans que ce soit jamais aux dépens des personnages. « Somebody up there likes me », sous son apparente simplicité, est une affaire d’audace. Il paraît que le film sortira en France début 2013…