Chroniqueur politique
LE PLUS. Nathalie Kosciusko-Morizet devait affronter Jean-Marc Ayrault sur France 2, dans l'émission "Des paroles et des actes". En optant pour une stratégie de communication pas forcément adaptée face au Premier ministre, elle s'est fait remettre à sa place par celui qui ne participait pas au débat : Manuel Valls. Décryptage d'un ratage par Bruno Roger-Petit, chroniqueur au Plus.
Édité par Mélissa Bounoua Auteur parrainé par Benoît Raphaël
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Nathalie Kosciusko-Morizet dans "Des Paroles et des actes" sur France 2 le 26 septembre 2012 (Capture LE PLUS)
Nathalie Kosciusko-Morizet (alias NKM) ou l'art de faire à la télévision ce qu'il ne faut pas faire en télévision en pensant faire de la grande télévision : tel est le bilan du débat que l'ancienne porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy a livré à Jean-Marc Ayrault, Premier ministre et invité de l'émission de France 2, "Des paroles et des actes" jeudi soir.
NKM, comme beaucoup de politiques de sa génération, née avec et par le petit écran, est affectée du syndrome de la télévision : elle pense la maîtriser parce qu'elle est de son temps alors qu'elle en use comme les bons communicants des années 70. Face à Jean-Marc Ayrault, NKM a commis toutes les erreurs du débutant télévisuel fanfaron et a échoué dans son offensive, la preuve en trois points.
1. Une anaphore compliquée et inadaptée
Lorsque NKM s'installe face au Premier ministre, dans le siège dévolu au contradicteur politique de la soirée, l'ancienne ministre de Sarkozy se lance dans un réquisitoire contre l'action de Jean-Marc Ayrault. Elle entend démontrer que ce dernier est prisonnier des promesses de campagne de François Hollande. Pour se faire, elle convoque une anaphore à rebours, usant d'un récurrent "Vous, Premier ministre" afin de faire écho au célèbre "Moi, président" hollandais et montrer que rien de ce qu'avait promis "Moi, président" n'est tenu par "Vous, Premier ministre". Se faisant, elle commet deux erreurs.
Sa construction est alambiquée. Pour chaque argument, elle commence par dire "François Hollande avait promis" avant d’enchaîner avec son "Vous, Premier ministre" suivis d'interminables développements. C'est lourd et indigeste, et cela tue l'effet de l'anaphore, qui doit être simple, directe et brève dans la succession des interpellations pour être efficace.
Son ton est bien trop sérieux. Prisonnière de son anaphore à double détente, "François Hollande a promis"/"Vous Premier ministre", NKM a été contrainte, à l'évidence, d'apprendre son texte par cœur. Du coup, elle donne le sentiment, réel, de réciter sa leçon au Premier ministre comme le ferait une élève de la Maison d'éducation de la Légion d'honneur. Appliquée et besogneuse, elle ne convainc pas. Ce choix compliqué, qui la conduit à avoir l'air d'une élève appliquée mais guère brillante, est en outre aggravé par son jeune âge et son physique de jeune femme gracile (pas d’hypocrisie ici : oui, être une femme politique en télévision est encore en 2012 un handicap cognitif initial, et il ne suffit pas de le nier pour que ce phénomène disparaisse).
Recourir à une anaphore exige une posture martiale, une incarnation quasi-ontologique de l'autorité, et c'est bien pour cela que le général de Gaulle usait facilement de ce procédé. Or, NKM n'est pas en mesure de répondre à ces deux exigences. Pour compenser ce handicap d'incarnation politique (qui peut être injuste, on le concède) elle aurait dû user d'une anaphore plus simple, et surtout afficher une insolente ironie, mordante et distanciée, puisque tel était son but, ce qu'en règle générale, elle réussit plutôt bien.
2. Des stratagèmes giscardiens des années 70
Décidée à montrer que Jean-Marc Ayrault est une marionnette victime des promesses hasardeuses de la campagne Hollande, NKM sort un argument massue : le mot "crise" n’apparaît pas dans la profession de foi du premier tour de l'élection présidentielle du candidat socialiste. Et pour appuyer son propos, elle brandit le document qui accuse, le montrant ostensiblement à la caméra, façon "Regardez, je possède un document accablant !"
Ce genre de procédés, brandir le Programme commun en 1974, ou le projet socialiste en 1981 était l'une des plus grandes innovations du grand communicant qu'était Giscard d'Estaing durant cette décennie qui fut sienne. À l'ère d'internet et des réseaux sociaux, le procédé est daté, et le ressusciter parait un peu désuet. Qui plus est, l'argument est faible : l'absence du mot "crise" dans une profession de foi électorale, que peu de Français lisent (hélas ?) ne symbolise pas une menace impliquant d'exhiber ce document comme s'il s'agissait d'une pièce ultra secrète bouleversant le cours d'un grand procès de Cour d'assises.
Résultat : une fois encore, ce vieux truc, vieilli et fatigué, de NKM se retourne contre elle. NKM fait "flop", ou "pschitt", si l'on préfère... Comment a-t-elle pu imaginer une seule seconde qu'un procédé aussi éculé, sur un symbole aussi peu évident pourrait encore fonctionner à l'ère twitter et du fact-checking ?
3. NKM piégée par... Manuel Valls
A la fin de sa tirade initiale, NKM dénonce les couacs et divergences entre ministres. Dans le lot, elle pointe particulièrement le duo Intérieur/Justice constitué par Christiane Taubira et Manuel Valls. Sans doute n'a-t-elle pas anticipé que la caméra de France 2, alors qu'elle va évoquer ces deux noms, va les présenter en plan de coupe aux téléspectateurs (la politique à la télé doit tout savoir, tout prévoir, y compris le plan de table, et les plans de coupe que cela peut occasionner).
Au moment où elle dénonce les mésententes Taubira/Valls, ces derniers apparaissent à l'image. On découvre alors qu'ils sont hilares, semblant se moquer de NKM. Au surplus, Valls (communicant professionnel, lui) entoure de son bras bienveillant Taubira, après lui avoir pincé l'épaule comme pour la réconforter, comme pour signifier "C'est pas grave, ce n'est que NKM". La complicité Taubira/Valls, leurs sourires, l'étreinte amicale, tout contredit la malheureuse NKM empêtrée dans sa pesante anaphore et ses trucs de com' à la Giscard. C'en est même humiliant pour NKM, tant le dédain amusé des deux ministres est ostensible, constituant une arme de communication massive destructrice.
En un sourire, en un geste, Manuel Valls annihile la malheureuse NKM, et dégage le terrain pour Jean-Marc Ayrault. Du grand art. Qui a dit qu'une image valait mille mots ? Ce moment de télévision en apporte la plus évidente des démonstrations.
Dès lors, le débat est terminé, il n'a pas besoin d'avoir lieu, et les échanges qui suivront le premier échange NKM/Ayrault ne pèsent plus, le rapport de force étant installé aux yeux du téléspectateur. Le chef du gouvernement n'aura même pas besoin d'en faire trop, NKM ayant commis en trois minutes trois grosses erreurs de communication télévisuelle, sanctionnées par le sourire assassin de Manuel Valls, erreurs qui sont à ce point élémentaires que l'on finit par se demander si cela ne trahit pas un excès de confiance par rapport à la maitrise de l'instrument télévisuel plutôt que la maladresse rafraichissante du néophyte.
Symboliquement, les erreurs télévisuelles de NKM l'ont amenée à endosser le rôle de ce que les psychanalystes appellent la "petite fille à la poupée". Voulant contester le pouvoir incarné par Ayrault, elle s'en montre incapable, usant de procédés qui, paradoxalement, renforcent symboliquement l'autorité de ce dernier considéré comme un "substitut archaïque paternel" (comme disent encore les psychanalystes).
Ce n'est pas la première fois que l'on prend NKM en flagrant délit d'immodestie débouchant sur un effet boomerang dans son rapport avec la télévision. Quand comprendra-t-elle que c'est à elle de s'adapter à cet instrument et non l'inverse ? Quand comprendra-t-elle que face à la télévision, l'humilité est de mise ? La télévision, comme le disait l'un de ses grands ancêtres fondateurs, "c'est un métier".