Mea culpa

Par Mauss

Pendant pas mal d'années, une suspicion me trottinait dans la tête : est-ce que, oui ou non, les grands vins de Bordeaux avaient changé leur style, leurs caractéristiques, à partir du millésime 1982 ?

Même si une telle idée énervait rapidement notre ami Michel Bettane, elle restait plus ou moins honteusement cachée quelque part :-)

Allions nous vers des vins à consommation plus rapide, avec plus de velouté, de rondeur, limite "body-buildé", au risque de perdre la finesse, l'élégance des millésimes anciens des années 50, 60 et quelques 70 ?

Réponse éclatante hier soir.

Avec une leçon pourtant connue de tous, mais impérative : l'ardente nécessité, pour les plus beaux fleurons de l'aquitaine, d'attendre au moins 15 à 20 ans avant d'exprimer un jugement solide, nuancé, basé sur un sens du temps à laisser au vin.

Lors d'un dîner chez Ramet à Bordeaux avec des amateurs américains de passage en bordelais, un mien ami nous avait offert une bouteille de Haut-Brion 1985. Sans que cela soit un millésime aussi réputé que peut l'être le 89, cette bouteille était simplement parfaite.

Non seulement comme "grand vin", mais surtout on n'y retrouvait avec éclat tout ce qui fait le charme unique de ce cru de référence absolue à Bordeaux. C'était avec une évidence immédiate ces arômes envoutant de fumée si caractéristique de Haut-Brion, avec une élégance de toute beauté. On était nettement, dans notre échelle de note, à un niveau "émotion 3".

Même pour ces amis américains, plus habitués aux puissances des crus de Napa, dont le Ridge Montebello qu'ils connaissent très bien, cette finesse du Haut-Brion 1985 emportait tous les suffrages. 

Quel plaisir de trouver ainsi dans ce vin de haute volée, certes à des prix costauds, une telle évidence de supériorité ! 

Si personne ne peut nier qu'effectivement à Bordeaux les grands vins ont développé depuis 1982 un style différent, résultat de vendanges de raisins plus mûrs (confer les leçons de Peynaud, Rolland et autres), si de plus en plus il est difficile de différencier rive gauche et rive droite, au niveau de crus tel Haut-Brion, ce qui a fait la réputation, la caractéristique majeure des plus grands depuis 1855, cela est encore d'actualité, et "alla grande". Il y a, sur les pessac-léognan, une signature particulière qui reste superlative en rive gauche. 

Oui, ce premier cru classé va encore évoluer en espérant que ce côté "fumé" si exclusif à ce vin va encore s'affirmer, se développer. Il y a certainement d'autres châteaux bordelais affichant une belle réussite dans ce millésime : une prochaine session du GJE ? Va savoir, Charles ! 

PHOTO IPHONE

Une pure merveille

Un petit mot sur Ramet. Ce fut, pendant de longues années, la référence gastronomique de Bordeaux. Une toute petite maison, près du fleuve, discrète, où on voyait régulièrement des propriétaires y ayant leur rond de serviette. Après le départ de Monsieur Ramet, et avec la venue d'autres belles maisons comme le St James à Bouliac, le Chapon Fin et maintenant le Pressoir d'Argent à l'hôtel Régent ou le Gabriel, nouveau venu, Ramet n'était plus sous le feu des critiques et de la mode locale. Une erreur : c'est toujours une belle maison, où on sait vous préparer une belle salade de homard, une escalope de foie gras, et des douceurs pas trop sucrées comme c'est trop souvent le cas ailleurs. Service souriant, amical, convivial. Prix compétitifs par rapport à la concurrence. Bref, une bonne adresse bordelaise.