« Ce dont le Maitre ne parlait pas » par Yuan Mei

Publié le 30 septembre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Extrait

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 Le temple aux Double Fleurs

Pendant l’ère Yongzheng (1723-1735), le bachelier Cai, un jeune homme de très belle apparence, originaire de Guilin, assistait un jour de printemps à une pièce de théâtre lorsqu’il sentit que quelqu’un lui caressait les fesses. Furieux, il allait éclater en injures et cogner, quand en tournant la tête il vit que l’homme était jeune aussi et plus beau que lui-même. Sa colère tomba aussitôt et, changeant d’attitude, il lui mit la main sur le sexe. L’autre en ressentit un plaisir inespéré. Rectifiant sa tenue, il s’avança pour saluer et se nommer. Il était lui aussi le fils d’une riche famille de Guilin, étudiant mais non encore bachelier. Les deux jeunes gens sortirent en se donnant la main. Ils se rendirent à l’auberge dite « Au village des fleurs d’abricotiers » pour festoyer et se jurer fidélité. Désormais ils ne sortirent plus que dans la même voiture et ne s’assirent plus que l’un à cote de l’autre. Ils se parfumaient et se rasaient de même. Ils portaient des manches courtes et des tuniques serrées, au point que l’on ne savait plus comme pour les corbeaux, s’ils étaient mâles ou femelles. Il y avait en ville un chenapan nommé Wang le Chauve, qui les guetta dans un endroit isolé et voulut leur faire violence, mais ils résistèrent, il les tua et jeta leurs cadavres dans un coin perdu de la ville. Dans les deux familles, les parents s’adressèrent aux autorités pour qu’on ouvrit une enquête. La police découvrit des traces de sang sur les habits du Chauve. Il fut arrêté, interroge, il avoua et fut condamné à mort. Les deux jeunes gens s’étaient toujours montres polis, doux, et d’une excellente éducation. Les habitants eurent pitié d’eux et leur élevèrent un temple. Pour accompagner chaque offrande on ne manquait pas de présenter un un rameau d’abricotier en fleurs. De la le nom de temple aux Double Fleurs. Toutes les prières qui leur étaient adresses étaient immédiatement exaucées. Aussi brulait-on force cierges et encens.

Au bout de plusieurs années, le sous-préfet Liu la Longue Barbe, en passant par la, s’enquit de l’histoire du temple aux Doubles Fleurs. L’ayant apprise, il se fâcha:

-C’est un culte illicite! Ces deux voyous méritent-ils qu’on leur offre des sacrifices?

Il ordonna au responsable du quartier de détruire le temple. Cette nuit-la, Liu rêva de deux personnes, dont l’une lui arrachait la barbe, l’autre lui crachait au visage. Ils le réprimandaient:

-Qu’est-ce qui vous fait penser que nous sommes des voyous? Vous êtes le père-et-mère du peuple 1 mais non pas notre serviteur:que pouvez-vous savoir de ce qui regarde nos oreillers et couvertures? Autrefois, à l’époque des Trois Royaumes, Zhou et Sun Se 2, jeunes et beaux l’un comme l’autre, se sont aimés et dormi ensemble. Ils étaient dans leur temps des héros sans égal. Les considérez-vous comme de « jeunes voyous »? Depuis que vous êtes sous-préfet, vous avez reçu plusieurs fois de l’argent pour des opérations illégales, vous avez une année fait mettre à mort injustement le bachelier supérieur Zhou, qui avait été présenté à la cour. Et vous, qui nous traitez de voyous, vous n’en seriez pas un? Nous avions l’intention de vous ôter immédiatement la vie, mais comme la loi royale va vous être appliquée et que le temps de votre mort est proche, nous vous faisons grâce pour le moment.

Ils tirèrent alors d’une manche un bâton, long de trois bons pieds, qu’ils attachèrent à sa natte en disant:

-Plus tard vous en comprendrez la raison.

Liu se réveillât en sursaut et informa sa famille. Il s’apprêtait à faire reconstruire le temple, à y présenter des offrandes, mais il avait honte de l’avouer. Bientôt l’affaire des pots-de-vins transpira et il fut condamné à la strangulation. Il comprit alors le signe prémonitoire du bâton.

Chapitre 23, 12e recit, « Shuang hua miao »

1 Père et mère du peuple, voir, ci-dessus, récit n° 26

2 Zhou Yu et Sun Ce, deux frères jurés. Le brillant général Zhou Yu ( 175- 210) servit Sun Ce (175-200) puis son frère cadet Sun Quan, qui fonda l’État de Wu, l’un des Trois Royaumes.

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