Voici donc le 400ème post de ce blog, quasiment un an jour pour jour après que le compteur ai franchi les 300. À l’époque j’avais consacré un billet spécial à l’état des lieux de la j-music en France. Pour cette épisode 400 je voulais encore tenter de regrouper plusieurs personnes sur un sujet et c’est l’art délicat mais ô combien enrichissant de l’interview nippone qui m’est venu à l’esprit.
Parce que les interviews d’artistes nippons… C’est le bien.
Il y a 3 mois j’ai donc commencé à regrouper une vingtaine de personnes de la profession pour leur demander leurs avis, à travers une dizaine de questions qui ont rapidement pris le chemin du bavardage. Dans ce panel, j’y ai interrogé des journalistes amateurs et pros habitués de cet exercice mais aussi quelques attachés de presse et même un éditeur, Ahmed Agne de Ki-oon, qui a la particularité de parler couramment le Japonais et de toujours assister aux interviews de ses auteurs.
Le but était, comme d’habitude, d’apprendre et d’échanger sur le sujet. L’interview est un exercice souvent très personnel, un dialogue qui se prépare pour mieux s’improviser avec tout un panel d’interlocuteurs possible : un mangaka, un réalisateur, un chara-designer, un chanteur, un groupe, un patron de label, un éditeur, etc. Avec le temps on croise une multitude d’artistes et de métiers.
Je n’ai jamais vraiment compté le nombre d’interviews que j’ai pu réaliser – j’en fais depuis un peu plus de 4 ans maintenant, c’est-à-dire pas grand chose – mais j’ai tellement de bons souvenirs et il y a tellement de point de vue différents sur la façon d’interviewer que je voulais faire le point. Quoi de mieux, alors, que des confrères et des partenaires pour partager les opinions sur la chose : la façon de la préparer, son but, son déroulement, ses plaisirs et ses emmerdes, les spécificités d’avoir un interlocuteur nippon, les différences entres journalistes et entres invités, les questions bateaux et/ou celles à éviter, les meilleurs souvenirs, les stars et les anonymes, les coulisses, etc.
C’est parti pour cet article pas comme les autres !
Bonne lecture ;)
Pourquoi faire des interviews ?
Pourquoi nous allons faire une interview… Baaah elle est facile celle là, pour rencontrer nos idoles pardi ! Hé bien figurez-vous qu’au départ… Non. Les éditeurs, labels et responsables de communications des artistes sont des gens sympathiques, certes, mais pas ils ne sont pas non plus des philanthropes prêts à nous ouvrir gratuitement les portes de leurs artistes. Donc posons d’abord la question différemment, comme l’a fait Matthieu Pinon, rédacteur free-lance qui a travaillé pour Animeland, Manga-world et d’autres : « à quoi sert une interview ? Réponse : à avoir un éclairage différent sur les œuvres de l’interviewé(e) et mieux le/la connaître. »
Bien sur l’interview est un moment très plaisant, pour « le plaisir du contact humain » comme le résume Rukawa, de Manganimation. Mais l’interview n’est pas le cliché de jouissance que les gens qui ne la pratique pas ont en tête. Par exemple l’interview est souvent un moment surprenant… Comme l’explique Merlin, de Mata-web : « l’interview est à double tranchant. Surtout quand on rencontre un artiste que l’on apprécie. On peut être très déçu ou encore plus enthousiasmé. Il m’est arrivé de bien plus apprécier une œuvre après avoir eu des détails pour la comprendre et surtout après avoir rencontré un artiste charmant… Enfin charmante pour la plupart du temps. »
À l’image des gens que l’on y rencontre, une interview peut accoucher du pire ou du meilleur comme le souligne Sebastien Kimbergt, webmaster de 192 Pages, Noir & Blanc et pigiste chez Animeland : « Bien sûr, on tombe parfois sur des auteurs complètement fermés, mais quand il y a de vraies rencontres, où tu passe un super moment et dont, ensuite, l’auteur se souvient de toi et te le montre, ça vaut tout l’or du monde. »
Mais, de la même façon qu’un enseignant ne travaille pas pour le « merci de ce que vous avez fait pour moi » d’un élève, un intervieweur doit se fixer un but très loin de ses intérêts personnels pour faire un bon travail, comme l’explique Mattieu Pinon : « L’interview n’est pas là pour se faire plaisir, mais pour être lue / écoutée / vue plus tard. Il faut donc jongler entre les réponses qu’ont besoin d’entendre ceux qui ne connaissent rien à la personne et qu’ont envie de connaître les fans, tout en évitant les écueils des questions types .»
L’interview est avant tout un moyen de communication qui s’inscrit dans le cadre du métier de journaliste, le chaînon entre l’artiste et son public. Après tout dépend de ce fameux public et ce que le journaliste veut lui offrir. Certains ont envie de faire découvrir un artiste au plus grand nombre pendant que d’autres cherche de l’inédit ou désire provoquer une surprise, comme Shito du Blog jpop : « l’interview c’est réussir à tirer des anecdotes peu connues, dévoiler un aspect de la personnalité d’un artiste / membre de groupe, réussir à obtenir des discours sans langue de bois, et / ou la vision d’un artiste sur l’état global du marché. Bref le challenge de faire faire à l’artiste autre chose que de la pure promo, et le plaisir d’instaurer une certaine complicité éphémère avec un artiste que j’aime ! »
Parmi mes interviewés j’ai noté une différence notable entre deux loisirs : les interviews manga-japanime d’un coté et les interviews j-music de l’autre. Dans le monde de la musique, l’apparence et la personnalité ont une place prépondérante, et les interviews s’en ressentent. Je citais tout à l’heure Shito qui cherche ce qui se cache derrière le formatage. Eric Ou, rédacteur en chef d’Orient Extrême, a un discours similaire et prend plaisir à « découvrir l’humain derrière le produit ».
Mais il va plus loin… Il explique pourquoi, parfois, on peut aller faire une interview à reculons : « Comme tout travail ou presque, l’interview n’est pas toujours un exercice plaisant. Il y a des interviews intéressantes et motivantes, d’autres beaucoup moins. Il y a de très bonnes surprises, comme rencontrer des gens ouverts, passionnés, curieux, expressifs… D’autres fois, on se traîne pour aller tenter de tirer quelque chose de la part d’artistes plus ou moins mauvais, en sachant par expérience que ces spécimens peuvent être fermés ou bridés par leur management. On se sent régulièrement face à des machines plus ou moins lobotomisées qui débitent leur texte (comme les idols chez qui tout a l’air faux, la plupart du temps)… Le côté industriel d’une partie du marché de la musique prend alors tout son sens. »
Heureusement, comme tout exercice, chaque difficulté peut se transformer en défi, pour réussir à tirer quelque chose d’intéressant quelles que soient les contraintes. Un challenge qui augmente avec la popularité de la star, au point d’ailleurs que nos intervenants apprécient tout autant les rencontres avec de parfaits inconnus, synonyme de moins prise de tête en amont et pendant l’interview elle-même. Chaque cas de figure à ses avantages et ses inconvénients et certains voient du bon dans les deux, stars ou inconnus, comme Merlin : « Les deux mon capitaine ! La star il est parfois difficile de faire des questions originales mais n’a pas forcément moins de choses à dire. Parfois ceux qui ont de la bouteille ont plus de choses à raconter sur le milieu ou leurs amis du métier. Encore une fois ça dépend donc des personnes et de leur entourage ainsi que des conditions de l’interview. »
Ceux qui apprécient les deux sont tout de même d’accord : les interviews de stars restent les plus compliqués… Moins de temps (on peut descendre à 8-10 minutes au lieu de 20 ou 30), plus de médias sur l’évènement et la difficulté de ne pas poser les mêmes questions que tout le monde, un management plus strict sur les questions que l’on peut poser et des intervenants plus robotisés …
Ces interviews sont épineuses et peuvent devenir synonyme de frustration. Faire une très bonne interview réclame souvent du temps, ce qu’on n’a jamais dans ce cas de figure. C’est pour cette raison que l’interview d’artistes inconnus chez nous est clairement le choix de certains de mes interlocuteurs, comme Céline Maxant, rédactrice en chef de Journal du Japon : « Je choisis un inconnu, sans la moindre hésitation. L’échange est plus intime et c’est gratifiant de pouvoir mettre en avant un artiste peu connu. Encore plus d’aller le chercher cet inconnu. L’entretien est généralement plus facile aussi, notamment pour le journaliste puisque toutes les questions n’ont pas encore été posées (même si je suis convaincue qu’on peut être complètement innovant avec des artistes ultra connus). »
Dimitri Desmé, fondateur de Kochipan, explique également que la renommée du média peut-être reliée à celle de l’artiste : « les « stars » n’ont à priori pas besoin d’un medium comme Kochipan et inversement. L’intérêt d’un medium indépendant est justement cette absence d’obligation de devoir servir la soupe à n’importe quel prix. Mais parfois il m’arrive de faire des interviews de personnalités très connus si l’occasion le permet. Ce qui m’intéresse alors c’est l’échange qu’il peut y avoir, creuser un univers artistique passionnant, plus que le challenge d’avoir approché une star. »
Les interviews sont aussi l’occasion de découvrir des artistes en préparant l’entrevue, en découvrant l’artiste sur scène puis en tête à tête, comme ajoute Céline : « Après il y aussi un « inconnu » pour soi, mais ultra connu pour le lecteur (ce qui m’est souvent arrivée, puisque j’ai commencé JDJ sur cette optique là, en me positionnant comme une newbie). À ce moment là je me sentais plus libre au final. »
Même dans les médias spécialisés, ce milieu de fans et de passionnés, l’interview reste un art à part entière et propose une multitude de tableaux possible. On choisit parfois qui ont peint mais on s’exerce souvent avec ce qui nous tombe sous la main, on s’attaque parfois à des classiques maintes fois esquissés et plus le sujet semble passionnant en amont, plus la déception peut-être grande.
Mais comme dit l’adage : on reconnait le bon ouvrier à ses outils. Le peintre à ses pinceaux. L’interviewer à ses questions !
Préparer une interview : c’est quoi les mauvaises questions ?
Il est difficile de savoir à l’avance si une question donnera l’effet escompté. « Une question qui peut paraître bateau comme « racontez-nous votre parcours » peut parfois amener des choses complètement inédites et intéressantes, nous en dire plus sur le profil artistique de l’auteur » explique Ahmed Agne, directeur des éditions Ki-oon, qui assiste toujours à l’interview de ses mangakas.Ahmed remarque également que les questions différent énormément d’un média spécialisé à un média généraliste, sans que les unes ne soient meilleurs que d’autres d’ailleurs. Il ajoute que les premiers « chercheront à savoir le nombre de tome prévu, combien il y a d’assistants… Alors qu’un type de Télérama cherchera à comprendre pour l’auteur de Judge semble obsédé par la vengeance, le ressenti sur la société de l’auteur de Prophecy, et ira plus vers la personnalité de l’artiste – son ressenti sur les artistes occidentaux aussi – tandis que le média spécialisé ira plus souvent questionner sur l’œuvre. »
Donc des questions il en existe de toutes les sortes et on peut poser n’importe laquelle ? Ah non mesdames, mesdemoiselles, messieurs… Que nenni ! Chaque invité a le droit d’avoir des questions qui lui sont propres et pour rendre une interview optimale, il faut donc se renseigner un minimum avant.
En fait la mauvaise question c’est celle dont on a déjà la réponse… Ce qui fait qu’il y a au moins UNE question qu’il faudrait qu’on arrête de poser une fois pour toute : « Bonjour, est-ce vous pourriez vous présenter ? ». Pour des interviewés filmées ou enregistrées en audio l’intérêt est limité mais ça peut se comprendre, ok, mais si vous prévoyez une retranscription sous forme de texte, merci de rayer définitivement cette question de votre liste.
Ensuite il y a les questions dont les réponses sont dans la biographie fournie par l’éditeur. Lorsqu’elle est détaillée, sur le parcours de l’artiste par exemple, évitez de lui demander de vous réciter ça une seconde fois et gardez ces informations pour votre écrit final… Cela vous fera une belle introduction !
Après il y a différents niveaux de recherches… Parmi mes intervenants certains chercheront s’il existe déjà des interviews disponibles sur la toile, d’autres se pencheront sur les œuvres, certains chercheront les deux, y compris dans la langue de Tezuka et, enfin, certains n’interviewent que des artistes qu’ils connaissent déjà…
Eric mentionne l’intérêt des blogs et des réseaux sociaux pour découvrir un peu l’artiste et sa personnalité et Den Stein, rédacteur en chef de Manga Sanctuary, conseille également les messages des mangakas sur les rabats de chaque volume ainsi que leurs commentaires en fin de chapitre, dans la même optique.
N’oublions pas, enfin, que les japonais sont timides et extrêmement polis, inutile donc de leur demander s’ils sont content d’être là, s’ils aimeraient revenir ou signer dans un label chez nous, s’ils aiment le public français, s’ils ont hâte d’être en concert ou s’ils en sont content, s’ils aiment votre coupe de cheveu ou la cuisine de votre grand-mère : la réponse est, à 99.9%, oui !
Voilà vous savez maintenant les questions à éviter. Est-ce que toutes les autres sont bonnes pour autant ? Tout dépend si vous voulez que votre interview soit la même que vos confrères. Car, ne rêvez pas, vous ne serez rarement le seul à interviewer un artiste… Au départ en tout cas.
Par exemple, pour un évènement sur Japan Expo, qui s’accompagne d’un rythme assez intensif en la matière, Ahmed évoque entre 15 et 20 interviews pour l’un de leurs auteurs. Pour les invités d’honneur de l’évènement on peut facilement doubler. Par exemple, nous étions 7 ou 8 médias spécialisés regroupés en une fois avec 20 minutes pour interviewer Naoki Urasawa… Et on oublie souvent que les médias japonais font souvent le déplacement et s’ajoutent aux journaux français lorsqu’il s’agit d’invités de grande envergure.
La concurrence est rude et pour se démarquer il est donc bon d’avoir, dans sa poche, quelques questions originales. Il ne faut cependant pas tomber dans l’excès inverse et poser des questions tellement pointues qu’elles n’intéressent presque personne à part vous et auxquels l’invité répondra souvent par un : « oh la mais vous êtes partis chercher ça très loin, moi je fais mes œuvres en m’inspirant de ce qui m’entoure vous savez ».
Et oui, du coup, le tournesol posé sur la table à la 8ème minute de l’épisode 5 n’est pas un hommage aux natures mortes de Van Gogh. Bien tenté mais non.
Inutile d’essayer d’être plus malin que lui, vous n’arriverez qu’à la mettre mal à l’aise. N’oubliez pas qu’en face de vous, il y a un être humain qui n’est pas forcément le dieu incarné qui hante vos nuits ou dont vous chantez les louanges sur les forums depuis son dernier chef d’œuvre. À l’inverse, vous éviterez de lui dire que ce qu’il fait ou ce que fait l’un de ses confrères est de la bouillie pour les cochons… Sauf si vous voulez que votre instant de glory-troll destiné à gonfler votre e-penis n’ait pour seul intérêt que de vous blacklister. Cela dit ça fera de la place pour les autres.
Au final, lors de cette préparation des questions, le conseil que donne les habitués de l’exercice est le même : trouver un angle à votre interview… Un thème majeur si vous préférez, spécifique à l’invité et/ou à son parcours ou enfin ses œuvres, et que vous creuserez avec lui.
Bien sur lorsqu’un invité se contente de répondre par monosyllabe à vos questions, vous serez alors ravi d’avoir prévu plus de questions qu’il n’en fallait. Tiens, d’ailleurs, puisque l’on parle de nombre de questions, entre 10 et 15 questions pour une interview de 20 minutes fait en général l’affaire, en fonction de votre capacité à rebondir sur les réponses de votre interlocuteur.
En bonus, voici quelques unes des questions préférées des journalistes interrogés… À vos risques et périls ;)
Merlin : « En fin d’interview pour les charmantes demoiselles : « Est ce qu’on peut vous inviter à dîner ? » »
Shito : « Ma vraie question préférée, c’est celle que tout le monde se pose et personne n’ose poser. J’ai pour principe de ne jamais m’en priver ! »
Tatiana : « Et vos futurs projets ? »
Valérie (Pop Cult’, Mangaworld) : « Si vous étiez un personnage (de BD,Anim,film…), lequel souhaiteriez-vous être ? »
Faye : « Vous êtes célibataire ? »
Matthieu : « Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir professionnel, d’aller plus loin que le simple hobby ? »
Den Stein : « Faire un portrait Chinois avec 10 petites interrogations »
Votre serviteur : « Qu’est-ce qui est le plus difficile dans votre métier et, à contrario ou non, qu’est-ce que vous préférez ? »
Voilà, maintenant trouvez les vôtres et vous serez prêts pour le jour J !
Jour J : rencontre avec l’attaché(e) de presse
En ce fameux jour j, la première chose à savoir c’est que tout ne se passera pas comme prévu. Mais c’est normal. En dehors du problème de l’interview annulée (comptez une fois sur dix), il est fréquent que l’horaire évolue. Vos prédécesseurs ont tous dépassés leurs créneaux de 5-10 min, l’artiste ne sera plus libre à l’heure dite, il est resté plus longtemps que prévu en dédicace, il est digère mal le jetlag ou s’est éclaté plus que de raison la veille (Paris produit parfois de drôles d’effets sur eux ^^)… Bref, les raisons sont multiples.C’est d’ailleurs à ce moment là que vous rencontrerez en live une charmante personne : l’attaché de presse. L’attaché de presse – souvent UNE attachée d’ailleurs – est une personne qui a de multiples cordes à son arc et l’une d’entre elles est de gérer la venue des auteurs. Pour cet article j’en ai rencontré plusieurs et quatre ont gentiment répondu à mes questions. Je ne vous dirais pas de qui il s’agit, pour éviter que leurs propos soient assimilés à la boite pour laquelle il ou elle travaille ;)
Quand on leur demande à quoi ils ou elles pensent lorsque l’on parle d’interview les réponses montre bien que ces moments représentent du travail et pas mal de stress : « je pense organisation, slots, tableaux, calages… Bref, boulot ! » me dit la première, ce que confirme la seconde : « Je pense que… C’est compliqué ;) ». Pourquoi compliqué me direz-vous ? La réponse du troisième attaché de presse l’explique : « Je pense directement à : « bon, allez, au boulot ! », et puis je me souviens que je travaille avec les éditeurs japonais et qu’il va falloir user de forceps pour avoir la moindre autorisation (je blague). »
Vous l’aurez compris : placez une interview est un exercice délicat. D’autant que le nombre d’intermédiaires complique souvent l’affaire… Je vous donne un exemple : un journaliste demande une première interview pour son média à une attachée de presse qui lui demande quelques informations sur ce dernier, afin de les transmettre à un agent qui va gérer l’artiste sur le festival et qui va envoyer ces informations au responsable nippon de l’artiste, qui va valider le média. Une fois les validations reçues par l’agent et qu’ils se sont mis d’accord sur le nombre d’heures accordées à la presse, ces informations sont envoyées à l’attaché de presse qui va pouvoir établir un planning, pour ensuite appeler les journalistes.
Et maintenant, vous pensez bien que pendant que tout ça s’organise, les journalistes concernés ont parfois eu des contretemps ou des créneaux pris par d’autres artistes, eux-mêmes gérés par d’autres attachés de presses et d’autres agents… Vous commencez maintenant à avoir une petite idée de l’usine à gaz que l’on peut obtenir lorsqu’on prépare Japan Expo.
Cela dit ça peut-être tout aussi galère avec un seul invité… Il n’y a pas vraiment de règle. Lorsque je leur demande d’évoquer leur pire souvenir, la moitié des journalistes interviewés me parleront de lapins posés ou de prises de tête autour de ces emplois du temps parfois rocambolesques.
Heure H : c’est parti mon kiki !
Vos questions sont dorénavant prêtes et vous attendez sagement votre tour : dès que l’interview précédente est finie, ce sera à vous !
L’attaché de presse avec qui vous avez sympathisé (y a pas de raison) vous donne les dernières informations et consignes qui tournent souvent autour de l’accord pour les photos ou la prise de vidéo et les questions à éviter de poser voire les sujets interdits, comme ça arrive régulièrement dans le milieu de la j-music.
Vous voilà briefé et ça tombe bien, le confrère qui vous précédait sort de la salle d’interview. Pour peu que vous le connaissiez vous échangez un sourire et un petit « alors, il est comment ? » – pour essayez de savoir à quelle sauce vos questions seront digérées – puis c’est à vous.
Un très grand nombre de cas de figures s’ouvrent à vous. Le nombre de personnes dans la salle par exemple, est assez variable : un auteur et un interprète au minimum, auquel peuvent venir se greffer un tantô, un éditeur, un manager, un ou des photographes officiels, … Voir même son éditeur français, comme c’est le cas pour Ki-oon.
Ahmed explique d’ailleurs que leur présence peut permettre de rassurer un auteur. Et oui, si vous êtes stressés par l’entretien, il ne faut pas oublier que l’inverse peut-être tout aussi vrai. Ahmed me donne deux exemples : « Etorouji Shiono, l’auteur d’Übel Blatt , est un mec super timide, renfermé. Il est intelligent et a plein de chose à dire mais il n’a pas l’habitude de se mettre en avant. Du coup on lui a fait une sorte de dossier avec plein d’exemples d’autres interviews d’autres auteurs pour qu’il sache à quoi s’attendre. En fait au Japon les interviews sont très loin de ce qu’on fait en France… En général c’est assez léger et superficiel, parce qu’il ne faut pas froisser l’artiste et ne pas être différent, alors qu’on peut tomber dans l’excès inverse chez nous.
Interview Etoroji Shiono (Übel Blatt)
L’autre cas, à l’extrême inverse c’est Jun Mochizuki, l’auteure de Pandora Hearts : elle était super ouverte, souriante… Très « pas jap » pour le coup, et elle avait beaucoup de recul par rapport à son œuvre, mais c’est très rare.»
La première difficulté est donc posée : le japonais est timide et il faut parfois le décoincer. Mais, comme nous l’avons signalé plus haut, des bonnes questions peuvent aider. Ahmed conseille, de manière globale, « de commencer cool pour mettre l’artiste à l’aise et d’amener ensuite les questions difficiles ».
Néanmoins cette timidité peut aussi s’accompagner d’un défaut qui revient souvent dans la bouche des journalistes interviewés : la langue de bois. Shito détaille : « Le défaut principal, c’est la langue de bois. Les japonais sont habitués à des medias très conciliants, à un système organisé et codifié dans lequel on ne les prend jamais par surprise. Ils pourraient prédire toutes les questions qu’on va leur poser et c’est très bien comme ça, ils ne sont jamais bousculés, un journaliste qui oserait sortir des clous serait immédiatement soumis à la perte de tous ses privilèges vis à vis d’une agence entière, voir de toute la profession. Du coup les journalistes posent des questions consensuelles, et les artistes donnent des réponses consensuelles, sans grand intérêt.
Mais ceux qui ne sont pas pourris par le système sont absolument passionnants. Ils adorent parler de leur travail, ils sont flattés qu’on leur demande leur avis sur des enjeux qui dépassent la seule échelle de leur activité perso, et ils se prêtent d’assez bonne grâce à tous les petits délires du type dédicace thématisée ou vidéo à la con avec un mélange d’humour et de gêne qui est tout bonnement délicieux. »
Du coup on peut se demander : est-ce que les bonnes questions suffisent ? Est-ce que c’est l’interview ou le journaliste qui permet une interview réussie finalement ?
Toutes les personnes interrogées ont tendance à répondre, à quelques nuances près, « les deux ». Mais l’une des attachées de presse m’a donné une réponse très intéressante qui résume bien la situation : « L’auteur XXX est venu à Paris il y a quelques années, et à cette occasion il avait plusieurs interviews. La plupart des rendez-vous se ressemblaient beaucoup et se sont bien passés, l’auteur nuançait ses réponses afin que chacun ait une exclu, et puis, il y a eu ce journaliste d’un gros magazine hebdomadaire qui est arrivé, et j’ai assisté à la meilleure interview que j’aie pu voir depuis ma courte carrière.
La barrière de la langue crée la plupart du temps une distance entre l’interviewé et l’intervieweur, mais à cet instant on oubliait l’interprète, c’était comme si chacun devinait les questions et les réponses de l’autre, il y avait une belle osmose. S’en sont suivies des confidences, une interview à rallonge, et surtout une aisance entre les deux protagonistes. Les questions étaient les mêmes (à quelques questions près) et pourtant l’auteur a dévoilé beaucoup plus d’éléments, il a détaillé ses réponses, ils se sont livrés l’un à l’autre, sur leurs expériences passées, leurs avis… Ce fut un bel échange. Parfois, ce n’est ni l’invité ni le journaliste qui crée la différence, mais tout simplement leur rencontre. J’ai assisté à des interviews où clairement le journaliste faisait la différence, à chercher l’information, et puis d’autres cas où c’était l’auteur. On ne peut pas être catégorique dans cette réponse, mais parfois une belle rencontre fait une belle interview. »
Pour les journalistes interviewés, un autre élément clé (qui participe d’ailleurs à l’alchimie citée plus haut) est de, comme le résume Valérie : « savoir rebondir et s’adapter aux réponses». Sebkun, de Mangavore, recommande également de ne pas hésiter à reposer une question, sous un autre angle : « Je me souviens d’une interview que j’ai réalisé pour le coup pour Mangavore.fr… C’était avec Atsushi Ohkubo, l’auteur de Soul Eater. Je lui demande ses inspirations en manga et il me répond qu’il ne lisait pas de manga et qu’il n’avait donc pas d’inspiration venant de ce genre. Après l’interview, on discute 5 minutes, je lui dis que j’adore le côté déjanté de son univers, que le soleil avec un visage, ça fait un peu « Dr Slump » en punk… Et là, il me répond que Dr Slump est quasiment le seul manga qu’il a lu enfant, et que c’est effectivement de là que ça doit venir ! »À tout ça, mes intervenants ajoutent d’autres conseils : quelques formules de politesses en japonais, une carte de visite correctement tendue en début d’entretien, de bons outils (crayon, dictaphone, etc.), une tenue correcte, un temps d’interview bien optimisé et, point souvent souligné, un tantô ou manager pas trop présent, qui ne vient pas brider l’artiste ou lui mettre une pression rien que par sa présence et induire des réponses stériles.
Cela dit, pour le cas du tantô, Ahmed précise que c’est vrai seulement « si on (celui qui l’invite NLDR) décide de les laisser faire. Quand on invite un auteur et son responsable on explique bien qu’il est la pour voir comment ça s’est fait mais point barre. » Nous nous remémorons d’ailleurs l’interview de Jun Mochizuki, citée plus haut, où nous avons pu constater que la mangaka n’hésitait pas à dire qu’il lui mettait la pression et que c’est un peu le père fouettard.
Mais c’est un problème qui revient surtout dans la bouche des journalistes spécialisés en j-music qui associent ces empêcheurs de tourner en rond à quelques mauvais souvenirs d’interviews. Un traducteur trop juste (en japonais ou en français) ou au comportement inapproprié peut aussi ruiner une rencontre, comme l’explique Eric : « La traductrice qui s’est occupée de nous pour PATA et michiaki de Ra:IN, se permet de nous chiper notre feuille des mains pour choisir les questions qui lui plaisent et censurer les autres selon ses propres critères, en oubliant complètement les objectifs d’une telle rencontre. Demander de ne pas évoquer X JAPAN – soi-disant hors-sujet – était par exemple idiot car c’est un sujet fédérateur qui élargit considérablement le lectorat d’une telle interview. Ra:IN seul n’intéresse que très peu, X JAPAN beaucoup plus, le but de l’interview est de faire du bruit et de toucher le plus de monde possible ; dans l’intérêt de Ra:IN, il fallait donc parler un peu de X JAPAN.»
Souvenirs souvenirs…
Des bons souvenirs, on en a tous. Et c’est d’ailleurs par ça que je voulais finir ce papier spécial. Car qu’elle que soit les embûches et les contraintes, on y retourne souvent avec plaisir. Lorsque je pose la question du meilleur souvenir aux journalistes interviewés, tous me parlent de celles qui sont sorties du simple cadre professionnel, lorsque l’interview devient une rencontre, une conversation à battons rompus…
Voici quelques extraits de ces meilleurs moments :
Shito : « C’était avec KOKIA. C’était son tout premier passage en France, elle n’était pas encore formatée. AnimeLand et Coyote étaient passés avant moi. J’ai posé deux questions, et là « eeeeeeeh ? Mais comment vous savez tout ça ? ». Elle a compris qu’elle parlait à un fan, qui connaissait son travail. Et là elle s’est lâchée. A sorti plein d’anecdotes, n’a pas hésité à dire qu’elle n’aimait pas un de ses propres albums, et m’a accordé, contre l’avis du staff, le double de temps prévu. J’ai pris mon pied ! Beaucoup aimé aussi une interview de BOMB FACTORY après laquelle on a été manger une choucroute, et une autre de 101A après laquelle j’ai eu le plaisir de voir une petite chanteuse japonaise horrifiée devant une énorme flamküeche bien de chez nous ^^ »
Tanja : « Notre première interview de D’espairs Ray, on était assis par terre dans le couloir de la salle de concert ! À la bonne franquette ! MIYAVI aussi c’était cool, il n’a pas cette langue de bois japonaise si pénible. Il parle parfaitement anglais et il a des connaissances et de l’humour. »
Dimitri : « Les bons souvenirs sont aussi (et majoritairement) très nombreux. Au niveau des interviews lives il y a plus particulièrement les très bons souvenirs d’un humoriste et d’une artiste jazz japonaise. À chaque fois ils ont pris le temps de répondre aux questions si bien qu’à la fin cela se transforme en une véritable conversation interactive où on en oublierait presque ses questions.
À la suite de certaines interviews je dois dire que j’ai eu la chance de pouvoir partager de très bons moments avec des artistes dans un contexte hors Kochipan. Ça aussi cela fait parti des bons souvenirs. »
Rukawa : « Mon meilleur souvenir est certainement Kouhei Tanaka où on a fait 30 minutes d’interviews puis à la fin, c’est lui qui nous interview, quels sont nos anime/manga préférés, pourquoi on aime dans les anime/manga. Pendant 45 minutes on discute de One Piece VS Dragon Ball, de l’avenir de la franchise Gundam violée par les fujoshi et de chocolat Milka. On sent vraiment que c’est un passionné. »
Faye : « Pour moi il s’agit celle de Plastic Tree il y a plusieurs années. La dite interview avait lieu dans une chambre d’hôtel riquiqui à Pigalle et nous étions installés sur des lits en face à face avec le chanteur… Qui n’avait rien trouvé de mieux pour l’occasion de revêtir l’un de ces t-shirts moulants hyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyper décolleté dont les hommes asiatiques ont le secret…
Et il n’a rien trouvé de mieux que de se PENCHER en avant pour répondre aux questions ce qui faisait une vue plus que PLONGEANTE sur ses pecs, ses abdos, son nombril et j’en passe…Inutile de vous dire que j’en ai perdu mon français mes questions et tout le baratin car mes yeux tombaient tout seul dans le décolleté… J’avais beau me dire « regarde le dans les yeux, LES YEUUUUUX » ben ca marchait pas je matais toujours ailleurs, ce qui a commencé à me déclencher un fou rire et le pire c’est qu’il répondait vraiment aux questions… Pour une fois que les monosyllables m’auraient arrangées ! »
Eric : « J’ai bien aimé les rencontres avec les artistes EPIC (SCANDAL, HALCALI, Yui Makino, DUSTZ…), l’ambiance est toujours très bonne, les lieux bien choisis, le temps accordé généreux, et les artistes apparemment mis en confiance avant notre arrivée. C’est très agréable et on passe de bons moments. On rit et ça laisse de bons souvenirs. »
En ce qui concerne votre serviteur vous connaissez déjà mes meilleurs moments car j’ai pu vous en parler sur le blog mais je pourrais citer : Shingo Araki, Tsukasa Hôjo, Naoki Urasawa, Uplift Spice, Tsubasa & Robert Regatoni, Dai Satô, et plus récemment un combo Yusuke Kozaki – Shigeto Koyama… Des moments marquants pour avoir rencontré les personnes derrière des artistes que j’apprécie énormément.
Il y a aussi des rencontres qui nous laissent sous le charme comme mes interviews de Mari Yamazaki ou Ai Takekawa mais je pourrais aussi ajouter de nombreuses rencontres avec quelques professionnels français du manga et des j-loisirs qui sont des purs passionnés : Amhed et Cécile de Ki-oon, Raphaël de Kazé ou Pascal de Tonkam, Cyril de Tsume, Sahé de Soundlicious, Aleksi Briclot et Made de CFSL…
Mais j’ai à peine le temps de vous parler de toutes ces rencontres car il m’en reste encore plein à vous retranscrire : Yusuke Kozaki & Shigeto Koyama justement, Galaxy 7, Tsubasa, Dara, Ein Lee et Samantha Bailly, Hemenway, Dong Kee Hong, Inoran, Ototo, Kana …
Et encore plus de gens à rencontrer d’ici le 500ème post !