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La religion dans l'alcôve des écritures publiques : A propos de L'islam et la Raison de Malik Chebel

Par Plumesolidaire

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Il est fréquent que nos ami(e)s de confession musulmane expriment leur reconnaissance à l’égard des prestations que nous leur rendons, et des relations cordiales que nous entretenons avec eux, par des exclamations joyeuses telles que : Que Dieu vous bénisse ! Que Dieu vous protège ! C’est le Prophète qui vous envoie !

Le bénévole le plus ancien de notre association, par ailleurs docteur en droit, achève un jour un courriel qu'il m'adresse par un enthousisate Inchallah !

Au printemps, dans le métro, une dame africaine très pieuse que j'accompagnais ce jour là au cabinet de son avocat, m’a confié à l’oreille avec affection qu’elle remerciait le Seigneur de m’avoir envoyé sur son chemin.

L’un de mes meilleurs amis m’a fait savoir dernièrement dans un courriel que  Le destin est fait pour qu'on se rencontre et pour que tu puisses m'aider. Mon bon karma t'a emmené vers moi en quelque sorte comme on dit chez nous.


Au Liban, si j'avais dans une autre vie, oeuvré sans distinction auprès de toutes les catégories de populations susceptibles de faire appel à l’écrivain public, au tableau d’honneur que je viens de dresser, j'aurais pu peut-être ajouter dans ce pays qui compte dix huit confessions  représentées en tant que telles à l’Assemblée Nationale quelques louanges chiites, sunnites, alaouites, ismaélites, maronites, grecques orthodoxes, grecques catholiques, arméniennes orthodoxes, arméniennes catholiques, protestantes, catholiques romaines, syriaques catholiques, syriaques orthodoxes, assyriennes, chaldéennes, coptes, druzes, juives, hindoues et bouddhistes.

Si la félicité spirituelle dans la gloire éternelle était ma principale préoccupation, c’est peut-être au Liban que j'aurais dû choisir de m’établir.

Pourtant, je dois  reconnaître que si ces compliments me vont droit au cœur, ils égratignent aussi ma raison.

Certes je conviens que la foi peut déplacer des montagnes. Mais ma profonde conviction dans la puissance de l’intelligence humaine pour régler les affaires des hommes, me conduit - hélas -, à constater que je ne déplace que de modestes cailloux - seraient-ce des cailloux dans des chaussures -, avec le sentiment parfois de ressembler à Sisyphe….

Profondément attaché à la pensée d'Albert Camus, à la laïcité et aux valeurs de la République, je suis toujours surpris de l'irruption de la spiritualité dans nos relations avec les usagers dans l'enceinte d'une collectivité publique, où Dieu d'où qu'il vienne n'est pas censé, en principe, avoir sa place.

A quoi je réponds simplement que, si j'ai choisi d'exercer l'activité d'écrivain public, c'est par choix personnel et raisonné, que c'est bien moi qui accomplis les démarcheset que je n'ai jamais eu recours ni à Dieu ni à la foi religieuse pour guider ma plume.

Athée, cela me conduit cependant à rechercher les voies d'un islam éclairé et compatible avec ma culture française et avec la République. D'où mon premier article sur ce thème, L'islam laïque de Hussen Chalghoumi.

Pour ajouter une pierre à cet édifice, le livre de Malek Chebel nous rappelle que cette voie a existé dans l'histoire de l'islam, et qu'elle persiste. Surtout, qu'elle ne se confond pas avec celles de certaines formes d'expression du salaphisme ou du wahabisme d'aujourd'hui.

Qui s'illustrent par les massacres interreligieux qui divisent les populations musulmanes en premier.

Je n'ai pas oublié l'interdiction qui m'a été faîte il y a quelques années, de pénétrer dans les mosquées de la médina de Fès, en raison de mon état d'infidèle.

Alors je préfère demeurer infidèle aux yeux d'une partie des musulmans, et fidèle à moi-même.

Plume Solidaire


CHEBEL Malek, L’islam et la Raison, le combat des idées, Paris, Perrin, 2005, 238 p.


L’ouvrage est consacré aux libres penseurs et aux mouvements représentant le patrimoine intellectuel de l’islam, que l’auteur oppose à l’islam doctrinaire des théologiens et des mosquées. Ce panorama balaie en neuf chapitres une longue période, de la mort du Prophète en 632, à 1979. La courte expérience des mu’tazilites* « premiers libres penseurs » de l’islam est extrêmement féconde (chap. 2). Après eux, le kalâm* s’épanouit avec les grands maîtres dialecticiens et théologiens de l’islam Ash‘arî, al-Ghazâlî et Ibn Taymiyya (chap. 3). Malek Chebel rend hommage au mouvement des Frères de la pureté de la seconde moitié du IXe siècle (chap. 4), à « l’esprit de Cordoue » avec Ibn Rushd qui selon lui donne « la tolérance en modèle » (chap. 5), et au soufisme (chap. 6). Les grandes figures et les courants représentatifs de la raison et de l’intellect (‘aql* en arabe), de même que le grand mouvement des sciences n’ont pu porter leurs fruits en terre d’Islam (chap. 7 et 8). La nahda* des réformateurs du XIXe siècle est aussi un échec, à l’exception peut-être de son impact dans la lutte contre le colonialisme (chap. 9). En conclusion l’auteur appelle l’islam à se défaire du « prêt-à-penser religieux » (p. 150) et à retrouver le bel élan donné par les libres penseurs. Il ne pourra y parvenir, selon lui, qu’en affirmant l’autonomie du sujet et se mettre « à l’école politique de la modernité (p. 151).

Poins forts

·   Un point de vue sévère d’un anthropologue de tradition musulmane sur la capacité de l’islam à se réformer en raison du poids de la tradition, de l’esprit de soumission, de la force des interdits (voir A.-M. Delcambre, l’islam des interdits). On croisera cette analyse rapide avec la présentation des Nouveaux penseurs de l’islam Rachid Benzine. Il est indispensable d’approfondir avec Mohammed Arkoun dont le nom n’est pas cité dans la bibliographie.

·   Un exposé concis sur le mu’tazilisme, inspiré des thèses de l’historien Louis Gardet. On trouvera une présentation claire des maîtres de la doctrine, des grandes controverses sur la prédestination, l’anthropomorphisme, et le Coran créé ou incréé et sur l’épisode de son triomphe comme doctrine d’État (fin VIIe- première moitié du IXe siècle).

·   Une annexe utile « les acteurs de la controverse » : elle présente en 64 pages par ordre alphabétique 134 courtes biographies de grandes figures (de al-Basrî mort en 728 à Mawdûdi mort en 1979) et de courants religieux (Frères de la pureté, confréries de soufis*, Frères musulmans, salafiyya*) représentatifs de la pensée islamique et des grands débats.

Lire la suite sur le site Institut Européen en Sciences des religions de la Sorbonne - IESR


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