FED, UDI, CPF, AC, NC, ARES, UDF, PRIL, FD, CDS… Des sigles bien mystérieux
qui s’agglutinent à une allure folle depuis quelques années : bienvenue au monde merveilleux des CENTRISTES !…
Le numéro deux du Nouveau centre (président exécutif), originaire du Centre des démocrates sociaux de l’UDF,
signifiait ainsi son divorce d'Hervé Morin, tout en insistant malgré tout pour …rassembler tous les
centristes. Reprenant l’ancien nom de Force démocrate (créée en novembre 1995), avec une bonne communication puisque les dépêches ont repris la confusion du nombre de parlementaires avec le
nombre d’élus locaux (« Quelque 120 élus, députés, sénateurs, conseiller généraux et régionaux, doivent se retrouver mercredi à l’Assemblée Nationale
[…]. »), Jean-Christophe Lagarde a considéré en effet que cette création estivale était un préalable à la confédération des centres. Il a même laissé entendre que la FED serait un bon
sas pour passer du MoDem à l’UDI, le futur rassemblement du centre droit, lancé le 18 septembre 2012 aux journées parlementaires du groupe du même nom.
L’année 2012 fut "horrible" pour les centristes. L’absence totale de Jean-Louis Borloo dans le débat présidentiel et la sévère défaite de la candidature de François Bayrou ont en effet placé le centre droit dans une véritable mosaïque de traditions et… d’ambitions.
Cathédrale en péril
Une mosaïque au transept d’une cathédrale. Et justement, imaginez une cathédrale majestueuse, très haute,
très glorieuse (au XIIe et au XIIIe siècles, on construisait les cathédrales un peu comme les Égyptiens construisaient les pyramides et les obélisques ou comme les voisins s’achètent les plus belles voitures pour frimer dans le quartier :
plus elle est grande, plus on atteint les "voix" du Seigneur ! Ici, il ne s’agit pas de Seigneur mais d’électorat).
Mais imaginez cette cathédrale, elle est très vieille, et elle est en ruine. Imaginez qu’elle n’est que la
simple trace d’un temps jadis triomphant. Imaginez qu’il n’y a plus de portail, que la nef a été dévastée et que seul reste le chœur, tant bien que mal, au gré du climat rude des temps. Eh bien,
imaginez encore que quelques petits seigneurs féodaux décidèrent de financer la construction de nouvelles chapelles, histoire d’avoir leur nom gravé sur le marbre pour les siècles à venir. Alors,
malgré les ruines, on se mit à construire de belles petites chapelles, tout autour de l’abside, pour entourer et se réchauffer le chœur.
Vous l’avez compris, la nef était l’UDF, un temps au sommet de l’État entre 1974 et 1981. Le chœur est le MoDem mais son état est épouvantable. Il est presque vidé de ses meubles et laisse juste sentir l’odeur d’encens
d’une espérance ancienne. Le transept a un peu résisté à l’usure des mythes avec un parti radical valoisien plus que centenaire.
Enfin, les chapelles sont nombreuses : cela a commencé d’abord en 2007 par le Nouveau centre, d’Hervé
Morin, puis cela a continué par la Gauche moderne, le microparti du sénateur-maire socialiste de Mulhouse Jean-Marie Bockel, ex-ministre sarkozyen, puis, en 2010, cela s’est poursuivi avec l’Alliance centriste du sénateur Jean Arthuis, placée en plein centre, dans la continuation de la nef et du chœur, et puis, voici que Jean-Christophe Lagarde y a mis la FED. Dans le déambulatoire, entre la chœur et
la façade de l’abside, les journalistes peuvent ainsi s’y promener, s’y pencher, interviewer les différents mécènes, photographier les fissures...
Au fait, me direz-vous, où sont donc passés les paroissiens depuis que la nef a été détruite en 2002 ?
Eh bien, justement, ils sont allés aux deux bistrots, bondés le dimanche midi, sur la place de la cathédrale. D’un côté, on peut y faire son PMU, on peut y scander avec passion les noms de ses
idoles, parfois, on peut même raffariner ; de l’autre, il y a le bar de la rose, un bar entièrement composé d’éléphants, ça riait pas mal autrefois, même parfois comme dans un lupanar ; mais maintenant, c’est silencieux, pas une seule tête ne doit déborder (enfin, il reste quelques
esprits forts), c’est la France du pouvoir.
La FED pour l’UDI
Revenons justement à cette FED. Le nom choisi par Jean-Christophe Lagarde, François Sauvadet et André Santini est d’un premier abord assez peu pertinent car il rappelle étrangement la banque centrale des
États-Unis, ce qui peut rendre le sigle assez impopulaire en France. Pourtant, l’idée de départ ne manque pas de pertinence puisque démocrate et européen sont justement les deux mots qui
caractérisent le mieux les centristes. L’aspect européen avait d’ailleurs été complètement court-circuité par
François Bayrou en 2009.
La FED serait en 2012 au Nouveau centre ce que le NC était en 2007 à l’UDF version MoDem, à savoir une
dissidence. Jean-Christophe Lagarde a plutôt justifié ce nouveau parti en disant que le Nouveau centre, ce serait selon lui le petit-fils du Parti républicain de François Léotard (son ancêtre,
Antoine Pinay), devenu Démocratie libérale puis PRIL après 2002 (ceux de DL refusant l’intégration à l’UMP, comme Gilles de Robien), et que la FED serait l’héritière du CDS, devenu Force
démocrate lors de sa fusion avec le micro-parti social-démocrate d’André Santini. Pourquoi pas ? mais ces subtilités ne peuvent se comprendre que par les initiés…
L’ambition de Jean-Christophe Lagarde n’est pas un secret et il fait partie des deux de sa génération (il va
avoir 45 ans dans quelques jours) à être en situation de futur leader. L’autre personnalité, c’est le bras droit de Jean-Louis Borloo, secrétaire général du parti radical valoisien, l’ancien
député de Nancy Laurent Hénart (l’ancien ministre a en effet été battu à Nancy centre, tout comme sa collègue UMP Valérie Rosso-Debord, ce qui laisse le jeu ouvert pour la succession d’André
Rossinot à la mairie, en mars 2014).
L’UDI, une nouvelle cathédrale ?
Dans l’organigramme annoncé le 18 septembre 2012 de la nouvelle Union des démocrates et des indépendants (UDI) reprenant le sigle du groupe formé en juillet par Jean-Louis
Borloo, Jean-Christophe Lagarde sera avec Laurent Hénart les deux secrétaires généraux du nouveau mouvement présidé par Jean-Louis Borloo et dont le bureau intégrera le député-maire de Montereau
Yves Jégo, le député-maire de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe Fromantin, l’ex-ministre Rama Yade (aux
investitures), l’ex-ministre Jean Arthuis, ainsi que quatre personnalités du MoDem : Éric Azière (comme directeur général), Jean-Marie Valerenberghe (sénateur-maire d’Arras), Olivier Henno
(maire d’une commune proche de Lille) et Alain Dolium (ancienne tête de liste du MoDem aux régionales de 2010 en Île-de-France).
Personne n’a omis, bien sûr, de remarquer que l’UDI est un sigle assez proche de l’UDF.
La construction paraît intellectuellement convenable, d’autant plus avec ce tour de force d’avoir su attirer
des personnalités qui comptent au MoDem, ce que réprouvent toutefois des personnalités comme Robert Rochefort et Jean-Luc Bennahmias, et l’UDI est née avec des préjugés favorables même de la part
de François Bayrou (ce qui est sans précédent depuis cinq ans).
Cependant, on pourrait émettre quelques réserves sur les chances de cette initiative d’aboutir à un véritable
parti qui compterait en France. Pourquoi ? Pour deux raisons au moins. Voire trois.
Un leadership problématique
Seul un leader solide et reconnu peut efficacement rassembler le centre et les centristes. Cela excluait donc
entre autres Hervé Morin ainsi que d’autres sous-constructeurs de petites chapelles. En somme, à l’automne 2012, il n’y avait que deux personnalités susceptible de réaliser ce rassemblement,
Jean-Louis Borloo et François Bayrou, tous les deux ayant montré leur capacité à gouverner, leur leadership sur le terrain des idées et de la réflexion politique, leur aptitude à nourrir une
vision originale, et l’attrait médiatique pour être écoutés sinon populaires.
Le problème, c’est que Jean-Louis Borloo a été complètement absent lors des batailles électorales les plus
importantes (on pourrait l’imaginer un peu comme celui qui récupèrerait les billes sur le champ de foire). Le problème, c’est aussi que François Bayrou, comme en 2007, a détruit toute la
crédibilité politique ce qu’il avait (encore) entre les deux tours de l’élection présidentielle, et son échec
personnel aux législatives ne lui a pas permis de rebondir avec le centre pour la France.
Enfin, le problème, c’est que ces deux leaders auront 66 ans à l’élection présidentielle de 2017 (comme
Jean-Luc Mélenchon du reste), que l’un n’aurait jamais eu l’expérience d’une campagne physiquement et
moralement très âpre et que l’autre en serait à sa quatrième candidature présidentielle, ce qui pourrait plus que lasser les Français.
C’est cela la première réserve. L’UDI n’aura pas de leader incontestable qui ait eu le courage de porter une
voix différente aux échéances cruciales et ayant vocation à incarner l’espoir et le renouveau en 2017, dans une Ve République clivée par l’élection présidentielle.
La manière dont Jean-Louis Borloo rejette d’un revers de main, devant les journalistes, l’échéance de 2017 en
insistant sur les échéances locales de 2014 n’augure rien de durable pour l’UDI. Un vrai parti doit être structurellement partant pour l’élection présidentielle, sinon, comme le Nouveau centre,
comme le parti radical valoisien, il ne serait qu’un syndic d’élus et de candidats plus ou moins efficace.
Et les centristes du PS et de l’UMP ?
Et puis, que veut dire vraiment rassembler les centristes ? Ce serait aussi rassembler le parti radical de gauche, au pouvoir avec le PS et les Verts aujourd’hui (avec notamment Christiane Taubira ex-balladurienne mais en passe de devenir une égérie de l’idéal sociétal de la gauche), et
aussi tous les centristes de l’UMP, et il y en a beaucoup, pas Pierre Méhaignerie car maintenant à la retraite, mais Jean-Pierre Raffarin, Jean Léonetti et Marc-Philippe Daubresse.
On pourrait même, par excès de langage, y inclure Luc Chatel voire Laurent Wauquiez (même si j’ai des doutes
là-dessus), et des personnalités comme Nathalie Kosciusco-Morizet (bien qu’elle vienne de déposer à l’UMP
une motion au titre décevant, "Demain la droite"), Bruno Le Maire et son ancien mentor (pas encore
retourné à l’UMP) Dominique de Villepin ne sont pas loin de souscrire aux quelques points forts de ce
rassemblement du centre (construction européenne, préoccupation écologique, justice sociale etc.).
Tant que les centristes de l’UMP considèrent que leur place serait plus à l’intérieur d’un grand mouvement
qu’à l’extérieur dans une petite église qui n’aurait que des adeptes et aurait du mal à se faire entendre du grand public, ce rassemblement du centre ne réglerait que les carrières de quelques
individus méritants mais n’apporterait pas grand chose à la vie politique.
Et peut-être que ces centristes de l’intérieur, ceux de l’UMP, n’ont après tout pas tort. Le départ de
Nicolas Sarkozy est une nouvelle donne fondamentale à l’UMP et le choix entre Jean-François Copé et François Fillon sera un élément politique marquant pour cette
décennie (j’y reviendrai).
Faut-il faire renaître les dinosaures par leur ADN ?
Après tout, que signifierait réellement un retour à l’UDF dans l’histoire politique ? À part pour des
gens comme moi, qui ont bien connu l’UDF de l’intérieur, si possible dans leur jeunesse pour la nostalgie,
est-ce que l’UDF signifie aujourd’hui quelque chose pour un jeune Français de 20 ans ? La réponse est facile : non ! L’UDF a commencé à agoniser en 2002. Vouloir y revenir serait
une erreur de manipe, une marche arrière au lieu d’embrayer la seconde vitesse.
Surtout une erreur du sens de l’histoire. Le MRP (Mouvement des républicains populaires) avait lui aussi
rassemblé les centristes, il les avait rassemblés ainsi que les gaullistes et tous les démocrates-chrétiens, souvent issus de la Résistance. En 1978, aurait-on imaginé la renaissance du
MRP ? Non. Il n’est resté que l’Amicale des anciens du MRP.
L’UDF est devenue obsolète parce qu’elle ne correspond plus à l’idée que les électeurs se font du paysage
politique. À l’UMP, le renouvellement est tel qu’il est désormais bien difficile de dire quels sont les députés issus de l’UDF et ceux issus du RPR. Je vais même plus loin : avec le FN puissance montante (Marine Le Pen à 18% à 43 ans), l’UMP sera mécaniquement positionnée au centre du paysage, entre le FN et le PS au pouvoir. Je ne dis pas que c’est la réalité mais que c’est ce qui se
remarque de plus en plus dans certaines circonscriptions aux élections (notamment aux cantonales de mars
2011 et aux législatives de juin 2012).
Mieux que rien
Malgré ces réserves, la création de l’UDI est mieux que rien car elle répond au besoin d’une certaine
catégorie de l’électorat qui refuse de se reconnaître au PS trop attaché à ses alliances à gauche et à
l’UMP dérivant dans des propos sécuritaires (les derniers provenant de Jean-François Copé).
Il restera que ce rassemblement devra faire ses preuves, non seulement dans ses négociations sur les
investitures en 2014, mais aussi dans son leadership pour que puisse émerger dans cinq ans une équipe suffisamment dynamique et solide pour assurer de manière crédible la relève… du pouvoir
actuel.
Sur l’agenda centriste
Dans les prochains jours, il est prévu deux rendez-vous importants pour la persistance du centre en
France.
D’une part, l’université de rentrée du MoDem au centre Belambra de Guidel, près de Lorient, où la soirée du
samedi 29 septembre 2012 sera consacrée à un débat sur l’avenir du centre avec notamment Bernard Bosson, Alain Lambert, Marielle de Sarnez, Jean-Luc Bennahmias et Jean-Marie Valerenberghe.
D’autre part, la salle de la Mutualité à Paris accueillera le dimanche 21 octobre 2012 à partir de 10 heures
l’assemblée constitutive de l’UDI. Ce sera ainsi son premier meeting public ouvert à tous les Français.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (27 septembre
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La famille
centriste.
L’UDF,
l’étiquette.
La fin de
l’UDF.
Le centre
pour la France.
François Bayrou.
Jean-Louis Borloo.
L’avenir de l’UMP.
Encore un effort !
Le rassemblement du centre (version 2008).
Le rassemblement du centre (version 2010).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mosaique-centriste-au-milieu-des-123380