Explorateur du cœur en fusion de la langue, Jean-Michel Espitallier est un poète en mouvement. Performer inlassable, l’auteur du Théorème d’Espitallier (Flammarion, 2003) aime la scène toutes barrières levées. Lecteur et conférencier en France comme à l’étranger, il est également le batteur du groupe Prexley. L’air frais qu’il
insuffle à la poésie contemporaine a donné lieu à un ouvrage de mise au point. Caisse à outils (Pocket, 2006), cette cartographie des tendances fraîches de l’écriture poétique s’accompagne aujourd’hui d’une anthologie qui délivre des
pistes pour mieux connaître les territoires actuels d’un genre que l’on a pu croire obsolète. Examen minutieux de ses Pièces détachées.
— Pièces détachées est une anthologie de la poésie française aujourd’hui et vous nous dites avoir signé un livre constitué des poèmes des autres. Qu’est-ce que cette étrange empathie cannibale ?
La construction d’une anthologie implique un geste artistique d’une grande subjectivité, et ce à plusieurs
niveaux : choix des auteurs, choix des textes, montage. J’ai donc vraiment eu le sentiment d’écrire avec des pièces détachées de l’engin poésie contemporaine et d’inventer un objet articulé avec mes propres partis pris.
C’est un geste constitutif de la modernité que celui de construire avec des éléments épars. Comme une installation cut-up ou ready-made.
— Dans Sac à dos, florilège destiné aux lecteurs en herbe, vous enseignez à
désapprendre tout en conseillant de faire comme si vous n’aviez rien dit.
Auriez-vous quelque difficulté à assumer votre rôle de prosélyte dans le domaine de la poésie contemporaine ?
Je ne suis en rien prosélyte. Si je donne ce conseil, c’est que la poésie, tant difficile à définir aujourd’hui,
est une nébuleuse d’écritures et de gestes que chacun doit pouvoir s’approprier. Toute interprétation est recevable, le texte est un objet vivant activé voire réécrit par chaque lecteur. Il ne faut donc pas trop prescrire. Je peux donner des pistes, mais à chacun selon ses modes de perception… La lecture de ce que l’on peut qualifier de poésie est une expérience de liberté. Alors
oui, retrouver l’ancienne ignorance, lire « dans tous les sens et littéralement » (Rimbaud) pour s’abandonner, en s’en délectant, au trouble que produit la lecture de l’objet poétique.
— Selon vous, la poésie est une croyance et l’on dirait que vous plaidez pour en finir avec cette foi.
J’essaie simplement de sortir la poésie de la clandestinité dans laquelle elle se trouve encore et où certains
poètes eux-mêmes se complaisent. Je me suis beaucoup exprimé sur ce phantasme judéo-chrétien de la misère comme vertu, garantie du génie, ces clichés du poète maudit, génial parce que malheureux. Il y a en réalité beaucoup de vanité derrière ce misérabilisme, beaucoup d’autosatisfaction, c’est-à-dire de mollesse, c’est-à-dire d’œuvres moyennes.
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