A propos de Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais
Sabine Azéma, Pierre Arditi
Plusieurs acteurs célèbres, dont Sabine Azéma, Pierre Arditi, Lambert Wilson, Mathieu Amalric (sorte de Méphisto), Michel Piccoli, Anne Consigny, Hippolyte Girardot ou encore Anny Duperey (dans leurs propre rôles) reçoivent le même jour un sinistre appel et une bien triste nouvelle : Antoine d’Anthac, célèbre metteur en scène avec lequel ils ont tous travaillé, est mort. Mais d’Anthac ne s’est pas contenté de mourir. Il a aussi mis en scène sa propre mort en convoquant la bande d’acteurs dans sa demeure pour assister à la projection d’un film. Un film dans lequel, s’adressant directement à eux, d’Anthac leur demande leur avis sur une proposition qu’il a reçu – vidéo à l’appui d’une de leurs répétitions – d’une jeune troupe de théâtre pour reprendre l’Eurydice de Jean Anouilh, pièce que d’Anthac avait déjà mis en scène avec les acteurs cités plus haut. Tandis que la vidéo de la jeune troupe en pleine répétition tourne devant leurs yeux, Arditi, Azéma, Wilson et consorts se remettent à jouer chacun à leur tour le drame d’Orphée et d’Euridyce, dont l’amour ne peut-être vécu que s’ils se rejoignent dans la mort…
Vous n’avez encore rien vu est à la fois une adaptation et une mise en abîme de deux pièces du dramaturge Jean Anouilh (1910-1987) : Eurydice (1941) et Cher Antoine ou l’Amour raté (1969).
Mathieu Amalric
Dans une demeure luxueuse, des comédiens célèbres jouent leur propre rôle en même temps qu’ils reprennent avec plaisir les répliques des personnages qu’ils incarnaient dans la pièce d’Anouilh, autrefois adaptée par feu d’Anthac (Denis Podalydès).
Bien sûr, la tentation est grande dans Vous n’avez encore rien vu de ne pas voir dans le personnage de d’Anthac un double d’Alain Resnais, tant le personnage joué par Denis Podalydès lui ressemble, dans son côté malicieux et farceur.
On pense à La nuit d’en face, le dernier film de Raoul Ruiz dans lequel le réalisateur chilien multipliait les incrustations comme Resnais le fait dans Vous n’avez encore rien vu.
Lambert Wilson, Anne Consigny
Mais n’allez pas parler au réalisateur de Nuit et brouillard (1956), d’Hiroshima mon Amour (1959) ou de L’Année dernière à Marienbad (1961, pour ne citer qu’eux) de film testament. Il parait qu’Alain Resnais n’y a même pas pensé. Resnais prend le prétexte d’une pièce de théâtre d’Anouilh pour mieux réunir sa bande de comédiens et tirer une farce grinçante en forme de défi ou de pied de nez à la mort, et quoi qu’il en dise, à la sienne qui va bien arriver un jour malgré ses 90 ans. Mais si l’on sent le plaisir manifeste du metteur en scène à faire de l’auto-dérision, celui du spectateur est quant à lui beaucoup moins palpable, du moins facile à éprouver.
Car malgré tout ce que l’on en dira, l’impression reste tenace pendant les 2 heures de projection du film d’assister à du théâtre filmé. Malgré le plaisir qu’ont les acteurs fétiches de Resnais (Azéma, Arditi en tête) à jouer, malgré celui du réalisateur lui-même (dont la recherche plastique et visuelle est certes incontestable) qui tantôt multiplie les incrustations, tantôt scinde l’écran en deux voire quatre parties pour faire se juxtaposer la même scène mais jouée par des acteurs différents, malgré toutes ces digressions donc, toutes ces variations, ces inflexions dans la voix des différents acteurs qui disent le même texte, ces décalages ramènent toujours, au-delà de leur côté ludique et de l’amusement qu’éprouve Resnais à les produire, à un même sentiment : celui d’assister à du théâtre filmé.
Tous ces jeux de montage et de mise en scène et de montage du réalisateur, toute l’émotion que l’on sent chez Resnais de réunir, peut-être pour la dernière fois, ces grands acteurs dans son salon, n’empêchent pas non plus un certain ennui de poindre. Le même ennui existait déjà dans le dernier film de Ruiz, malgré le foisonnement visuel et l’imaginaire que le réalisateur chilien y développait.
La fin de Vous n’avez encore rien vu consiste en une double pirouette assez étonnante du scénario, un double retournement de situation assez étrange mais qui est à l’image des contradictions et des paradoxes de la condition humaine. Alors, oui, là on commence à assister au déclenchement de quelque chose. Un sens de la dérision, de l’absurde et du tragique intrinsèquement liés à la vie. Et qui ont, eux, bien trait au cinéma…
http://www.youtube.com/watch?v=lMI-4H1jigU
Film français d’Alain Resnais avec Mathieu Amalric, Sabine Azéma, Anne Consigny, Pierre Arditi, Lambert Wilson, Hippolyte Girardot, Denis Podalydès et Anny Duperey (01 h 55 min)
Scénario de Laurent Herbiet et Alain Resnais d’après deux pièces de Jean Anouilh :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Mark Snow :