Live report : dan deacon, gourou électronique

Publié le 27 septembre 2012 par Acrossthedays @AcrossTheDays

© Olivier Duport

Dan Teenage Mutant Ninja Deacon

Il pleut en ce lundi soir sur Bruxelles alors que nous nous rendons au Botanique, vaste centre culturel où musiques et arts alternatifs résonnent à l’abri des serres du jardin éponyme. La foule se fait de plus en plus compacte et bruyante au fur et à mesure que le concert du génial nerd en puissance Dan Deacon approche. L’attente propose donc un doux capharnaüm mêlant néerlandais et français aux accents douteux. C’est armé d’une bière – ce qui semble ici être une norme établie sinon une obligation légale pour franchir le seuil d’entrée – que nous nous rendons enfin dans cette magnifique petite salle circulaire aux aspects gothiques qu’est la Rotonde. C’est sur son plancher ancien et délicieusement craquant aux oreilles que se tiendra une performance d’une intensité incroyable pour la prochaine heure et demi à venir.

Le duo texan d’Austin Deep Time sert d’amuse-gueule à un public très varié. Au terme d’une très bonne prestation, le combo américain évacue les planches de la petite scène de la Rotonde qui fait face au tout aussi petit amphithéâtre dans lequel le public s’installe confortablement. On attend de pied ferme un Dan Deacon désormais célèbre et célébré pour ses shows réputés pour se transformer en de véritables happenings participatifs et interactifs. Force est de constater qu’il ne nous aura pas fallu attendre longtemps pour voir arriver le natif de West Babylon. Affublé d’un T-shirt « Teenage Mutant Ninja Turtles » des plus intéressants et armé de ses désormais fameuses lunettes rondes, le brillant touche-à-tout est au four et moulin, endossant le rôle de roadie en contrebas de la scène. On se rend compte très rapidement que la disposition des musiciens sera assez unique en son genre. Sur la scène, les deux batteurs, jouxtant le bord de la scène se font face, seulement séparés par un impressionnant mur d’enceintes qui s’adresse au public en contrebas. Et au sein de ce même public se trouve donc notre homme à tout faire. Réglant ses deniers gadgets et outils, on réalise que le musicien va livrer sa prestation au sein même de la fosse, devant le mur d’enceintes. Plaisir. Dan Deacon n’a pas encore commencé à saluer la foule que tout le public est suspendu à chacun de ses gestes. Arrivé en showman supposé, il ne tardera pas à nous prouver que sa réputation a été acquise de manière tout à fait légitime et nous de ranger notre scepticisme au placard.

« Imaginez que vous êtes Lenny Kravitz »

Soudain les lumières s’estompent, laissant le luxe à l’unique ampoule juchant la table sur laquelle Dan a disposé ses instruments d’éclairer la salle entière. Le show peut enfin commencer, croyons-nous. Il n’en est rien. Dan Deacon au micro : « pouvons-nous tous lever nos mains vers le ciel quelques instants. Imaginez que vous êtes Lenny Kravitz dans le clip de « Are You Gonna Go My Way ». Le ton est donné. S’en suit une logorrhée étonnamment marrante de cinq bonnes minutes dans laquelle le brillant nerd démontre tous ses talents – un poil insoupçonnés – de roi du stand -up. Le public est déjà conquis alors que s’ouvre finalement le concert sur le déjanté et magnifique Red F. L’audience se met au diapason et rebondit lourdement sur les planches de la Rotonde qui fléchissent toujours un peu plus au rythme des beats proposés par Deacon. A peine le temps d’enchainer un deuxième titre que Dan Deacon interrompt une première fois le concert. Micro en main, il invite la foule à séparer la dense fosse en deux et attrape deux spectateurs qu’il érige en chefs de danse d’une battle plutôt épique. Les concurrents se succèdent au rythme des compositions du New-Yorkais dans cette arène de danse improvisée. L’ambiance est purement incroyable et il n’y a partout que des sourires à voir sur tous les visages. L’arène se brise et le concert repart sur des bases impressionnantes. À la manœuvre, Deacon s’évertue à garder sa place derrière sa table, bousculé par une fosse plus que nerveuse et balance successivement ses morceaux les plus remuants à l’image de Guilford Avenue Bridge et bien évidemment du très attendu The Crystal Cat. Le parterre transpirant en redemande.

Il commence à faire un chaleur suffocante dans cette Rotonde, moment que choisit Deacon pour interrompre une nouvelle fois le concert et proposer un deuxième concours à son public. Menés par des chefs d’orchestre, les deux parties du public s’affrontent dans un concours de danse synchronisée qui laisse bientôt place à un beau bordel. Dan Deacon décide de calmer son monde et de tester là son nouveau gadget. Une application pour smartphone, très humblement appelée « Dan Deacon » qui permet au détenteur de celle-ci et surtout au téléphone portable de ce dernier, de réagir aux sonorités émises par le musicien en changeant de couleur en fonction des notes jouées. La scène est belle et les quelques dizaines de smartphones plongés dans l’obscurité de la salle jouent en couleurs la partition de Dan Deacon. Bluffant. C’est dans cette ambiance mystique que s’ouvre True Trush, à coup sur l’un des plus beaux titres d’America, dernier-né de la famille Deacon.

Un final en apothéose

La salle chavire de bonheur et Deacon de continuer en enchainant d’une main de fer. Il interrompra sa prestation une dernière fois afin de demander au public de sortir de la salle afin de former une haie d’honneur massive qui rejoint d’un bout à l’autre les portes de sorties de la salle. Vide, la Rotonde n’est pour quelques minutes, plus que l’hôte des deux batteurs – tous deux impeccables ce soir -, avant que le public ne revienne au compte-goutte dans la salle pour l’explosion finale. Deacon envoie tout ce qu’il lui reste d’énergie à commencer par le génial Lots. Les crowd-surfing sont légion, la scène de laquelle nous surplombaient les batteurs est envahie, le chaos est total. Cependant, au sein de celui-ci navigue avec brio, tel un capitaine au coeur de la tempête, le chauve magnifique. Imbibé de sueur, il se livre entièrement en finissant avec l’émouvant Prettyboy et la formidable quadrilogie USA : Is a Monster / The Great American Desert / Rail et Manifest (Quel album !).

Voilà, c’est déjà terminé. Une heure trente s’est écoulée et personne ne semble vraiment prêt à quitter la salle. L’ambiance qui règne ici est rare et précieuse, d’autant plus avec la sinistrose ambiante qui rôde à l’extérieur de ces portes. La fosse s’empare de Dan Deacon se refusant à le laisser quitter le plancher après que le musicien l’ait longuement remerciée. On a le sentiment étrange et enthousiasmant d’avoir partagé un moment intimiste et secret avec un proche que l’on n’avait plus vu depuis longtemps. C’est une des grandes forces de Dan Deacon, la proximité. Au moment de quitter la Rotonde nous jetons un dernier coup d’oeil autour de nous. Ici aussi, sur tous les visages, des sourires. Il est bien difficile de repartir braver le crachin bruxellois et d’abandonner le chauve mystique à ses pérégrinations.

Cependant nous le quittons avec plusieurs certitudes. Celle d’avoir assisté à un concert d’une intensité inouïe et d’avoir sûrement en la personne de Dan Deacon l’un des plus grands showmen de notre temps. Mais également celle consistant à savoir que le talent de l’homme est à l’image de son ventre : énorme.

Images: Olivier Duport