Je bosse donc dans un théâtre. Grâce à mon poste, je vois les coulisses des spectacles, je communique avec les compagnies, les comédiens, les chanteurs, les danseurs. En dehors de mon poste administratif, je fais aussi quelques billetteries tout comme mes collègues.
Dans ce cadre, je croise le public.
Parfois, le public est chatoyant de gentillesse. Parfois le public se montre désagréable et insistant. Et dans ces cas là, mieux vaut être bien campée sur ses positions parce que sinon tu as vite fait de te faire bouffer toute crue. Ce qui est presque arrivée la dernière fois.
Généralement, je sais comment prendre les gens. Quand j’étais une étudiante fauchée, j’ai beaucoup bossé en tant qu’hôtesse d’accueil. A ce propos, il faudrait que je vous raconte un jour, mon expérience de standardiste dans une maison de retraite où je devais surveiller la porte d’entrée et empêcher les personnes âgées de fuir ou comment j’échappais au tentative de coup de canne sur la tête d’une petite vieille bien acariâtre ou comment j’ai vu une histoire d’amour naître entre deux patients de 85 ans qui se glissaient des mots doux à l’oreille et n’arrivaient pas à se dé scotcher l’un de l’autre de jour comme de nuit d’ailleurs.
Je digresse là, donc tout ça pour vous dire qu’appréhender les gens dans un contexte d’accueil et/ou de vente, je connais.
Donc la dernière fois, je fais la billetterie. Le spectacle débute bientôt. La plupart des spectateurs sont rentrés et les derniers retardataires se pointent. Une jeune femme arrive. Pour résumer, cette jeune femme souhaite que je lui donne une place à tarif réduit parce qu’elle connait telle personne de la pièce et qu’en plus, elle travaille dans le domaine du spectacle. Moi, bah moi, je refuse en lui expliquant calmement pourquoi, c’est que je ne peux pas faire une réduction, comme ça à tout le monde sans justificatifs (et dieu sait que les gens nous demandent de faire des réductions quand ils n’y ont pas le droit). La dame, ça ne lui a pas plu et du coup, elle m’a d’abord jetée un regard noir tout en insistant encore et encore. Elle soufflait et commençait à fulminer. Puis voyant que je ne cédais pas, elle m’a regardée encore plus méchamment et son ton s’est considérablement durci.
La tension était palpable, hein, je peux vous le dire. Puis un de mes collègues est arrivé, elle le connaissait. Elle l’a pris à parti lui expliquant qu’elle devait NEGOCIER pour avoir une réduction, ne semblant pas comprendre pourquoi je ne souhaitais pas lui donner cette ristourne. Mon collègue a finalement accepté. Il m’a dit que c’était ok parce que c’était une professionnelle et qu’il la connaissait. Elle m’a regardé avec un petit sourire mi satisfait-mi na na na na nèreeeuuuuu. Moi j’ai imprimé le billet, un moment j’ai ouvert la bouche pour lui dire désolé et que c’était pas pour l’emmerder que c’est juste une consigne pro, que c’est aussi comme cela que les compagnies gagnent de l’argent et que si je disais oui à tout le monde à chaque fois pour une invitation ou une réduction, il n’y aurait pas grand-chose en terme de recettes.
Et puis je sais pas, je me suis ravisée. Parce que je me suis rendue compte que ça aurait été de la fucking justification de lui dire tout ça et que je n’avais aucune raison de m’excuser de faire mon taf. J’étais sûre du refus que je lui avais opposée tout simplement. Et puis j’ai pensé très fort dans ma tête qu’étant dans le « milieu » elle sait que justement quand les jeunes compagnies font un spectacle, les proches préfèrent payer leur place parce qu’ils savent que l’argent ira aux artistes. Et que le jour où cela sera son tour, elle appréciera sûrement que les gens ne bénéficient pas de passe droits ce qui lui permettra d’avoir une recette correcte.
J’y repensais après et je me suis dit que j’étais fière d’avoir ôté mon costume de chic fille à ce moment là. Je sais pourquoi je voulais m’excuser, je voulais qu’elle me considère comme un être gentil et pas comme la vendeuse intraitable de billets, casseuse de roubignols. J’ai eu envie de m’expliquer parce que j’ai eu la sensation de passer pour “la méchante” à un moment T, sauf qu’au final, je m’en fichais de ce qu’elle pouvait penser. Après tout, si elle connaissait telle ou telle personne, il aurait juste fallu qu’elle passe un coup de fil avant à la troupe et son nom aurait figuré dans celui des invités.
Et puis là, il y a une petite voix qui m’a dit :
Purée cocotte, c’était pas un acte d’affirmation de soi ce que tu as fait là ? Moi : ah bon, tu, tu crois ? Petite voix : mais oui !!!! Moi : mais, mais ouais, tu as raison, I did it, je me suis affirmée, j’ai pas flanché et j’ai apprécié ça en plus, hé, hé, hé. Rooh la, trop d’émotions. Bon alors, mais euh, qu’est ce que je fais maintenant ? Petite voix : tu continues pardi.
Je continue pardi.