Ma première question va peut-être vous paraître idiote, mais que faut-il pour devenir chanteur d’opéra : la vocation ?
(Rires) Bonne question. Non, pour moi en tout cas ce n’était pas une vocation – je ne pensais même pas qu’on pouvait en faire son métier. Mon père était un grand mélomane et il me faisait découvrir tous les styles de musique... sauf l’opéra. Mais un jour, pensant me familiariser avec le cinéma, il m’a emmené voir «La Flûte enchantée» de Bergman. Moi, j’en suis ressorti avec une passion pour l’opéra. Ensuite, j’y suis venu sur le tard, vers 20 ans. Au Conservatoire, j’ai senti que j’étais plus dans mon élément avec le chant. J’ai intégré au Cnipal, à Marseille, une prestigieuse école d’où sortent chaque année une quinzaine de solistes par an. Même là, je n’étais pas sûr de faire une carrière, mais j’ai eu la chance d’en sortir en ayant rencontré mon agent, Jean-Marie Poilvé, ce qui m’a ouvert beaucoup de portes. Ainsi, Marc Minkovski m’a invité à jouer mon premier rôle principal dans... «La Flûte enchantée», en Papageno – que je reprendrai d’ailleurs en mai prochain, ici, à Bordeaux.
Vous incarnez un Figaro dans l’univers rossinien, alors que, dans les adaptations de Beaumarchais, il y a aussi Mozart et ses «Noces de Figaro». Ce rôle ne vous a-t-il jamais tenté ?
Oh que si, je l’ai même tenté ! Mais c’est l’un de mes moins bons souvenirs de scène : je me suis rendu compte que le rôle n’était pas pour moi, demandant une identité vocale trop grave, qui n’est pas la mienne. À l’inverse, même si j’aime beaucoup l’univers de Rossini, je ne le voyais pas comme mon élément naturel. Votre question est intéressante parce que, pour relever ce défi, je me suis pas mal replongé dans Beaumarchais, à retrouver le moteur de l’énergie de Figaro, les racines de son côté frondeur dans Rossini, avec cette vie de malheur qui, paradoxalement, le pousse à toujours garder le sourire. C’était important pour moi dans la construction du personnage, pour que le rôle ne se cantonne pas à un feu d’artifice vocal.
Ce Figaro, c’est un tournant dans votre carrière ?
Déjà, c’est un formidable défi. L’opéra, ça ne marche pas quand on sépare les choses, le théâtre et la musique, et avec «Le Barbier», c’est particulièrement sensible. Il faut maîtriser tout à la fois le texte, le corps, la technique, la voix... Mais ce qu’il y a de remarquable dans cette production, c’est que le metteur en scène Joan Font a choisi de travailler main dans la main avec le chef d’orchestre, Paolo Olmi, un Italien et fin connaisseur de Rossini. Cela a beaucoup facilité mon travail musical et scénique. Après, comme souvent, une prise de rôle c’est un cap – et un risque aussi. L’Opéra de Bordeaux a beaucoup de mérite, d’oser prendre ce genre de risque. Et j’ai bien conscience que c’est un luxe infini d’avoir un théâtre qui vous fait confiance. Cette confiance m’est précieuse pour franchir ce cap-là et me permettre d’avancer. •
Recueilli par Sébastien Le Jeune
Ce soir puis les 1er, 2, 4, 5 et 6 octobre à 20h, et les dimanches 30 septembre et 7 octobre à 15h, 8-85€. Tél. 05 56 00 85 95 ou www.opera-bordeaux.com
Photo Anthony Rojo