Différents, mais vivants (ou comment faire son deuil?)...

Publié le 27 septembre 2012 par Mamanbooh @mamanbooh
Hier, j'ai vécu une situation vraiment spéciale, en ayant l'impression d'avoir fait la gaffe du siècle...
J'assistais à une formation sur l'intégration des enfants en classe ayant un trouble de langage. J'y étais à titre d'enseignante, mais je portais aussi un autre chapeau.  Celui de maman de deux enfants ayant des troubles de langage: une étant en classe de langage et un autre étant intégré en classe régulière.
Tout au long de la journée, l'émotion m'animait. J'étais à la fois excitée (c'était très intéressant), mais aussi bouleversée par la réalité de ces enfants, mes enfants, qui ne pourront jamais guérir de ces troubles neurologiques que sont la dyspraxie et la dysphasie.
Àprès le dîner, nous avons visionné un extrait vidéo d'enfants dysphasiques qui s'exprimaient sur leurs vies, leurs rêves, etc... Ça en était trop pour moi, je me suis mise doucement à pleurer, cahchée par mes cheveux, utilisant mon foulard pour éponger mes larmes, moucher mon nez.
Un peu plus tard,  une collègue parlait des parents qui refusaient que leur enfant aille en classe de langage, que le deuil ne devait pas être fait, que c'était difficile d'intervenir, etc... Et là, j'ai manqué l'occasion de me taire.
Depuis 7 ans, je vis de petits et grands deuils, j'apprends que la liste des extras de mes enfants se rallonge, que je vais à mille rendez-vous, que j'investis temps et argent dans la réadaptation, des loisirs adaptés, que je craque parfois quand la pression est trop grande, que je remarque et que j'entends les gens (des inconnus, des connaissances, des amis, de la famille) autour de nous, que les différences sont de plus en plus grandes, etc...
Et pendant ces années, j'ai aussi reçu l'aide de plusieurs intervenants ( médecins,  psychiatres, travailleuses sociales, neuro-psychologues). Une comparaison est souvent revenue lors de ces rencontres.  La première fois, c'est mon médecin (qui venait de perdre son mari d'un cancer fulgurant) qui m'a dit que contrairement aux familles qui faisaient fassent à un cancer, nous, les parents d'enfants "différents", on n'avait jamais de répit, qu'on ne pouvait par faire notre deuil, que la société n'avait pas grand chose à nous offrir (comme les associations et fondations pour le cancer) qu'une thérapie en ergothérapie n'apportait pas le même vent de sympathie qu'un traitement en chimiothérapie, que ce n'était pas une raison d'absence du travail aussi noble, etc...
Cette comparaison (boiteuse, je l'avoue) est revenue plusieurs fois pendant ces années. C'est vrai que dans certains cas, les histoires finissaient mal. Mais encore là, un deuil pouvait commencer, alors que pour les parents comme moi, les deuils se multiplient comme les années passent. Cette pensée, malgré ce qu'elle pouvait comporter (ici, ça me gêne d'en parler, de me mettre à nue), m'a souvent aidée.
Mais hier, à la formation, quand j'ai voulu expliquer que c'était difficile de faire notre deuil, que j'ai évoqué l'exemple d'un cancer (j'aurais dont dû prendre un autre exemple ou juste me la fermer), une collègue m'a répondue que c'était faux, qu'elle avait perdu un fils d'un cancer, qu'elle ne serait jamais capable de faire son deuil et que moi, ma fille était toujours vivante.
Oh! Que je me sens mal depuis. Et quand je pense à mes amies qui ont perdu un enfant les dernières années, je me sens encore plus mal...  Je pense que cette pensée me faisait de bien, sans jamais avoir de mauvaises pensées pour les autres, sans même prendre le temps d'y penser, trop prise dans mes propres peines, vivant en mode de "survie", essayant juste de ne pas baisser les bras.
À la fin de la formation, je suis allée m'excuser à cette dame.  Nous avons échangé quelques mots, l'émotion était palpable, deux mères en pleurs, endeuillées, ayant des chemins différents, des avenirs différents, mais portant une douleur non quantifiable, non comparable, mais bien réelle.
Ce soir, en bordant mes enfants, je me suis attardée plus longtemps pour les serrer dans mes bras. Mes enfants sont différents, mais tellement plein de vie, entourée d'amour, tellement... Vivants.