Pourquoi donc favoriser l’arrivée des intégristes religieux au pouvoir ?
Plaçons-nous tout d’abord du point de vue musulman. Pour faire simple, nous dirons qu’il y a deux grands groupes, dans ce monde musulman, les Chiites et les Sunnites. Les Chiites sont majoritaires en Iran (90-95 %), en Azerbaïdjan (75 %) en Irak (65-70 %) et à Bahrein (65-75 %). Ils représentent aussi 45 à 55% de la population libanaise, laquelle comprend 60% de musulmans. Dans tous les autres pays, les Chiites sont minoritaires et ils représentent environ 15% de la population (Turquie, Syrie, Arabie, etc. )
Dans le contexte actuel, l’Iran est diabolisé par Israël car ce pays serait sur le point de se doter de l’arme nucléaire. Israël redoute aussi la Syrie, qui possède une armée importante et soutient le Hezbollah libanais. Dès lors, comme d’habitude, ce qui s’est dit à Jérusalem a trouvé un écho favorable à Washington et indirectement en Europe. Voyant les puissances occidentales s’en prendre à l’Iran, pays majoritairement chiite, ou à la Syrie (certes majoritairement sunnite, mais où dominent en fait politiquement les Alaouites) les pays de religion sunnites se frottent les mains. D’autant plus que le plus puissant d’entre eux, l’Arabie saoudite, est un allié privilégie de l’Amérique. En faisant condamner la Syrie par la Ligue arabe et en soutenant massivement l’opposition syrienne (comprenez : en armant des djihadistes venant de divers pays musulmans pour abattre le régime d’Assad), l’Arabie fait donc à la fois plaisir à son allié américain et elle affirme encore un peu plus son rôle personnel dans la région.
Il faut savoir aussi que si l’Arabie est sunnite, elle est surtout wahhabite. Qu’est-ce donc que le wahhabisme me direz-vous ? C’est un mouvement politico-religieux propre à l’Arabie et qui voudrait ramener l’islam à sa forme originelle. On pourrait donc dire que c’est une secte à l’intérieur du monde sunnite, une secte d’un rigorisme radical, ultra-orthodoxe et extrémiste. Cette doctrine a été instaurée par Mohammed ben Abdelwahhab (1703 – 1792) Cet érudit et prédicateur avait conclu une alliance avec le prince Mohammed Ibn Saoud, alliance par laquelle ils se promettaient une aide mutuelle. En d’autres termes, le politique et le religieux se venaient en aide mutuellement pour s’implanter en Arabie. Chacun y trouvait son compte puisque l’un pouvait ainsi répandre sa doctrine tandis que l’autre étendait son territoire. C’est donc l’'idéologie de ben Abdelwahhab qui a permis la domination des Al Saoud sur les autres tribus d’Arabie car le fait de s’appuyer sur la religion donne toujours une sorte de légitimité au pouvoir politique. En d’autres termes, l’Arabie d’aujourd’hui n’existerait pas sans cette alliance étroite entre le religieux et le politique.
Les princes qui dirigent aujourd’hui l’Arabie doivent se dire que ce qui a fait ses preuves au XVIII° siècle doit toujours bien fonctionner aujourd’hui. S’ils veulent étendre leur domination politique sur tout le Moyen Orient, ils doivent s’appuyer sur le wahhabisme, comme leurs ancêtres l’avaient fait pour s’imposer en Arabie. Quant aux religieux de tendance wahhabite, étant intransigeants par nature, ils n’hésitent pas à prêcher la violence s’il s’agit d’imposer leur doctrine rigoriste aux autres musulmans.
Rien d’étonnant, donc, à ce que l’Arabie (et le petit Qatar qui a les moyens de jouer dans la cour des grands) finance et arme les « rebelles » syriens. Il s’agit de faire tomber un régime laïc dont la population majoritairement sunnite est dominée par les Alaouites. Tous les moyens sont donc bons, y compris le recours à des mercenaires étrangers (non syriens donc). Or ceux-ci ne manquent pas. Voilà des années qu’on se bat en Afghanistan ou en Irak et les combattants sont légions. Formés militairement à repousser l’envahisseur américain, ces djihadistes fous de Dieu vont se trouver sans emploi suite au départ programmé des troupes occidentales. Autant les employer pour asseoir l’autorité desAl Saoud (et accessoirement pour tenter d’imposer le wahhabisme). Tout cela avec la bénédiction de Washington, que rêver de mieux ? Ce n’est donc pas seulement comme valet de l’Occident que l’Arabie se déclare contre le régime syrien, mais aussi pour asseoir ses propres intérêts (politiques et religieux).
A côté de l’Arabie, il y a un deuxième grand pays qui veut jouer un rôle dans la région, c’est la Turquie. Etat autrefois réputé laïc, la Turquie d’Erdogan ne cache pas qu’elle est musulmane. Ayant une frontière commune avec la Syrie, elle déteste ce voisin puissant qui lui fait de l’ombre (et qui n’hésite pas à soutenir les partisans kurdes pour l’affaiblir). Il n’y a donc aucune raison pour qu’elle n’apporte pas son aide au renversement du régime d’El Assad (et elle s’y active bien). D’autant plus que ruiner la Syrie, c’est déjà affaiblir l’autre grand rival, l’Iran chiite. Quant à la Syrie, on sait qu’El Assad est issu de la communauté alaouite, sur laquelle il s’appuie, au détriment des sunnites syriens. Ces Alaouites sont plutôt des Chiites (Coran, Ramadan, Aid al-saghîr, etc.) mais ils croient à la métempsycose et n’ont pas de mosquées. Certains Imams sunnites doutent même que les Alaouites soient vraiment des musulmans, mais c’est un autre débat.
Avant d’en terminer avec le point de vue musulman sur la crise syrienne, il nous faut encore dire un mot du Salafisme. Ce mouvement rigoriste se confond souvent avec le Wahhabisme, dont il est proche. A la différence de ce dernier, qui se limite souvent à la prédication, le Salafisme prône le djihad comme moyen légitime pour chasser les occupants occidentaux, colonisateurs et non musulmans. Ils ont commencé à combattre les Russes lorsque ceux-ci ont envahi l’Afghanistan et n’ont pas chômé depuis. Fondamentalistes intégristes, ils se verraient bien dans la foulée renverser certains régimes des pays musulmans qu'ils trouvent trop éloignés de l’enseignement du Coran. A la place, ils veulent mettre sur pied des États islamiques purs et durs.
Nous essaierons de comprendre la prochaine fois le point de vue occidental et ce qui amène cet Occident à mettre au pouvoir ou à laisser accéder au pouvoir des partis politiques religieux qu’ils ont toujours combattu.
Panarabisme (d'après Wikipedia)