Chemin faisant, je m’interroge de plus en plus sur la
place des artistes dans le monde de la culture ; monde de la culture tel qu’il a été pensé, développé et tel qu’aujourd’hui, en France, il se dessine. Autour de l’œuvre, pour la donner à
voir, pour la préserver aussi, on a monté des murs ; les murs il a fallu les gérer et ce n’était certainement pas les artistes ( trop lunaires, pas assez pragmatiques ?) qui pouvaient
prendre en charge cette mission. Les artistes, associés pas tout à fait comme les autres sont jetables et renouvelables à souhait. Année après année une carte de France des établissements
culturels a vu le jour avec ceux d’en haut, La Comédie Française (rare exemple d’un lieu avec artistes permanents, les sociétaires) puis de CDN
(Centre Dramatique National ) en Scènes Nationales ou Conventionnées , de Théâtres missionnées en Lieux de Fabrique,
la France s’est vue dotée d’outils fonctionnels et prestigieux.
Ces lieux sont-ils les rêves réalisés des missionnaires du Théâtre Populaire. Leurs pères spirituels les aimeraient-ils ? Trouveraient-ils qu’ils ont bien grandi. Assumant une partie de la
production et de la diffusion des oeuvres ne se sont-ils pas transformés en monstres ? L’épopée s’est-elle transformée en un vaudeville à gerber ? Dans les CDN à la double direction,
artistique administrative, combien d’équipes artistiques implantées, irriguant la ville, les quartiers, le territoire et qui, partant à la rencontre du public, le prennent par la main pour qu’il
pousse les portes du lieu, du temple. Changer le sens des chiffres ? Faire que ceux qui n’ont pas la culture facile, en profitent et grandissent avec elle, grâce à elle. Trop peu à mon goût…
Je ne répondrais pas ici à toutes les questions qui m’habitent ? La confusion grandit toujours plus en avançant.
Mais une question me taraude depuis la création de la Cie les Mille et une Vies et de notre choix de permanence (CDI) ; question à laquelle je n’arrive
pas à trouver réponse ; cherchant dans les statistiques, les chiffres ne me disent pas quelle est la part de la permanence pour l’artistique. D’après ce que j’en vois on a accepté l’art,
comme une économie de prototypes et de recherches permanentes dans laquelle le geste artistique est précarisé. La permanence est au cœur du geste artistique et bizarrement, pour le spectacle
vivant en particulier, les structures d’emploi des artistes sont particulièrement précaires ; offre CDD d’usage indéfiniment. Les trois conventions collectives du secteur, celle des
Entreprises artistiques et culturelles, celle des Théâtres Privés et enfin celle des Entrepreneurs de Spectacles et de tournées tombent d’accord la dessus, l’artiste on l’emploie quand on en a
besoin et puis après, et bien on le jette… et on en prend un autre.
Peut-être que l’artiste devrait changer les choses. Avec Les Mille et une Vies, c'est ce que nous tentons de
faire. Au plus près, sans garantie sur le long terme, nous avons essayé de construire autrement et jusque là, tout survit.. Oui face aux réalités qui pèsent et empêchent, nous avons le
devoir de transformer. Construire de nouveaux cadres ne se fait pas sans prise de risque. Mais, entre la construction de ma permanence artistique et ma survie artistique dans un cadre de type
«On call Workers» (Travailleur qu’on siffle), je préfère essayer et, advienne que pourra…. Les artistes doivent réfléchir, se positionner et changer les
choses ; l'art et l'oeuvre sont au coeur des lieux de production et de diffusion et, eux, artistes, s'en trouvent la plupart du temps rejetés à la périphérie. N'est-il pas temps de prendre
d'assaut conventions collectives et autres lieux et de les tordre à des réalités plus proches. L'intermittence n'est pas une fatalité ni le seul choix ; l'intermittence est en train de devenir
une case trop petite pour la réalité de nos métiers. Des troupes permanentes doivent être réinventées et par leur présence changer la réalité des politiques culturelles et artistiques.
Je vous le concède, pour nous, petite compagnie cherchant à se développer, à développer notre équipe, choisissant la
permanence polyvalente rien n'est simple, et lorsque nous voyons nos ressources baisser, (moins de ventes de spectacles, moins d'actions de sensibilisation, moins de financement public) c'est
notre existence même qui est mise en danger mais au moins, dans notre permanence pouvons nous nous battre et essayer de faire changer les choses. Nous savons les risques que nous prenons, et si
nous mourons demain, nous aurons accompli toutes nos tâches polyvalentes dans le respect de nous même, de l'autre et des lois.